Cannes 2024 | Sister Midnight, le mariage indien à la sauce punk et gore 

Cannes 2024 | Sister Midnight, le mariage indien à la sauce punk et gore 

Connu pour signer les clips de The Vaccines et Franz Ferdinand, Karan Kandhari a remué la Croisette et la Quinzaine des Cinéastes où son premier long-métrage Sister Midnight n’a laissé personne indifférent.

Sois belle et tais-toi 

A Mumbai, Uma et Gopal entament difficilement leur mariage arrangé. Elle ne parvient pas à trouver sa place dans une culture qui la cantonne à la maison – un taudis étroit – toute la journée, quand lui semble malheureux et non désireux de consommer et vivre pleinement leur union. Débute alors une descente en enfer pour Uma, qui se transforme petit à petit en figure inquiétante, sujette à de violentes pulsions.

Dès les premières scènes de Sister Midnight, le ton est donné. Ce couple formé par Uma et Gopal n’a rien à faire ensemble. Présenté comme le mariage arrangé de deux êtres qui ne veulent pas être en ménage, Karan Kandhari fait le choix de jouer sur l’humour pour faire accepter au public cette coutume que beaucoup peuvent juger archaïque. Mais il suffit de voir le mari fuir en courant le domicile conjugal, puis revenir par dépit et non par désir, pour comprendre que ces deux-là vont nous offrir un incessant ballet de saynètes plus hilarantes les unes que les autres.

Il faut dire que le quotidien présenté ici n’a rien de réjouissant. Tous les jours, Gopal s’en va travailler, laissant Uma seule face à ses responsabilités de jeune épouse. Elle ne sait pas cuisiner, n’a aucun désir de devenir la parfaite housewife et cherche par tous les moyens à trouver un peu de réconfort dans une routine barbante. Dans un quartier surpeuplé et particulièrement sale, ce couple tente de se créer son cocon – sans jamais y parvenir vraiment.

Mais dès lors qu’Uma semble devenir folle, enchaîne les malaises puis se met à mordre des oiseaux (après s’être attaquée à une chèvre), Sister Midnight bascule du côté de la comédie fantastique punk pour notre plus grand plaisir. Et comment ne pas se délecter des invectives de cette femme qui sait ce qu’elle veut mais ne semble rien comprendre et s’épanouir dans le monde qui l’entoure ?

Contes et légendes 

Grâce à un folklore plus que conséquent, Sister Midnight déjoue les attentes pour proposer un récit toujours plus surprenant. Uma est-elle folle ? Son imagination lui joue-t-elle des tours ? Est-ce une sorcière capable de tuer et de ressusciter des animaux ? Peut-elle faire de même avec les êtres humains ? Tant de questions auxquelles le film répond ici et là, dans un désordre permanent, qui déroute et emballe.

Preuve s’il en fallait une qu’il ne faut pas toujours tout comprendre pour prendre son pied en salle, Sister Midnight repose sur la répétition : les tâches conjugales abrutissantes d’Uma, les morts d’oiseaux – ressuscités de manière cartoonesque et joyeusement ridicule – et ce travail de femme de ménage en ville parsemé d’imprévus caustiques. 

Plus encore, dans Sister Midnight, tout est à garder car tout fait sens. Cela va de ces époux ne sont pas heureux mais parviennent à créer une forme d’amitié et de complicité entre eux (qui dure un temps) à ces trajets peu rassurants dans la jungle urbaine indienne. La caméra de Karan Kandhari est d’ailleurs précieuse et méthodique car elle filme en permanence ce qui compte vraiment : les expressions de l’actrice Radhika Apte qui donne magnifiquement vie à une Uma de plus en plus perchée. 

De la bande originale (qui s’autorise country et hard rock) à ces coupes brutales, tout ici est pensé pour amplifier ce qui est montré à l’écran – et donc les émotions du public. On rit avec ce couple foireux, on s’offusque du florilège d’animaux morts et on ne peut qu’applaudir à chaque fois qu’Uma, personnage féminin romanesque au possible, choisit l’émancipation plutôt que le conformisme. A tel point que lorsque le générique de fin retentit, on se dit que l’on aurait bien aimé connaître la suite de ses aventures !

Largement produit par des compagnies britanniques, Sister Midnight montre l’Inde d’aujourd’hui comme on la voit peu. C’est inattendu et rafraîchissant !

Sister Midnight de Karan Kandhari
Cannes 2024. Quinzaine des Cinéastes.
1h50
Avec Radhika Apte (Uma), Ashok Pathak (Gopal), Chhaya Kadam (Sheetal), Smita Tambe (Reshma)
Scénario : Karan Kandhari
Son : Christopher Wilson
Décors : Shruti Gupte