Cannes 2024 | The Shameless : deux femmes dans l’enfer partriarcal indien

Cannes 2024 | The Shameless : deux femmes dans l’enfer partriarcal indien

The Shameless ou l’histoire d’une femme affrontant sans peur et sans reproche la dure réalité indienne. La travailleuse du sexe n’a pas le couteau dans la poche, et plutôt que de balancer un porc, préfère le saigner.

Dans cette Inde violente, hiérarchisée et sexiste, Konstantin Bojanov nous plonge dans un film âpre, avec une héroïne au sale caractère. Pas convenable cette femme qui revendique sa liberté et rejette toutes formes d’injustice.

La dureté du quotidien est soulignée à gros traits par une binarité sans nuances : des hommes obsédés, dominants, abruti, répugnants, violents ou corrompus d’un côté, des femmes qui subissent, hormis les matrones qui trouvent leur compte dans cet antagonisme des sexes (une mère qui refuse de rompre avec des traditions archaïques, une maquerelle qui exploite des filles pour s’enrichir).

« Ici, les femmes ne fument pas en public. »

Au milieu de cette Inde peu encline à faire évoluer le statut des femmes (au mieux un mariage forcé arrangera un peu leur destin), deux femmes que tout oppose vont se lier d’amitié amoureuse. La rebelle et la docile vont se rapprocher dans un élan commun pour tenter de conquérir leur liberté.

Le réalisateur ne s’embarrasse pas d’esthétisme ou de mélodrame. Proche des visages, dans un style presque néo-réaliste, il suit les deux protagonistes dans leur enfer personnel. Car les épreuves se succèdent pour chacune. En filigrane, le récit dépeint l’impossible émancipation des femmes, les inégalités entre les genres, le racisme envers les musulmans, la pourriture des élites.

La vierge et la putain

Et sans doute charge-t-il trop la barque au point de dérailler dans le dernier tiers du film avec un récit qui se déstructure au point d’être un peu décousu et de forcer sur les ellipses que le montage sec n’arrondit pas. Alors que le scénario parvenait à décrire avec justesse les événements et les personnages, il s’emballe jusqu’à aligner les séquences sans liant ni profondeur, pour ne pas dire désorientées.

La narration s’affaiblit, jusqu’à déséquilibrer l’ensemble, mais entre menaces, trahisons et superstitions, l’itinéraire des deux femmes est maintenu par une certaine tension. Même si l’épilogue est assez prévisible, et si les personnages secondaires évoluent peu, le portrait de cette Inde misérable où l’espoir est un luxe.

Certes, le réalisateur opte pour une morale déjà vue et plutôt facile, teintée de rage et de colère, de salut et de liberté. Cependant, The Shameless perd sa vivacité et s’enfonce dans une dramatisation un peu artificielle, à cause d’une écriture moins maîtrisée.

Le film est finalement sauvé par ses interprètes, et, en premier lieu par Anasuya Sengupta, mâchoires serrées et regard perçant. Personnage a priori peu aimable, elle parvient à capter l’attention dans ses malheurs comme dans ses douleurs. Avec un jeu magnétique dans ce bordel sordide, elle insuffle à elle toute seule le discours féministe qui parcourt tout ce drame. Même si cela ne suffit pas à combler les passages à vide du film de Konstantin Bojanov.

À vouloir partir dans trop de directions et à force d’aborder trop de sujets, le réalisateur n’a pas su trouver une forme de synthèse entre le portrait socio-politique et une dramaturgie classique proche du film noir. C’est d’autant plus dommageable qu’il avait tous les atouts en main pour livrer un grand film sur la condition féminine.

The Shameless
Cannes 2024. Un certain regard.
1h54
Avec Mita Vashisht, Auroshikha Dey, Tanmay Dhanania, Rohit Kokate,
Réalisation et scénario : Konstantin Bojanov