Cannes 2024 | Armand : deux mères au bord de la crise de nerfs

Cannes 2024 | Armand : deux mères au bord de la crise de nerfs

Lorsqu’un incident se produit à l’école, les parents des jeunes Armand et Jon sont convoqués par la direction. Mais tout le monde a du mal à expliquer ce qu’il s’est réellement passé. Les récits des enfants s’opposent, les points de vue s’affrontent, jusqu’à faire trembler les certitudes des adultes…

Pour son premier film, Halfdan Ullmann Tøndel s’attaque à ce qui est en train de devenir un genre en soi: l’école en crise. Ces derniers mois, les spectateurs ont pu constater l’effroyable quotidien des profs dans Pas de vagues, La salle des profs, Amal ou L’Affaire Abel Trem. Armand se positionne du côté des parents d’élèves, mais démontre malgré tout le piège tendu aux enseignants quand ceux-ci sont confrontés à des rumeurs, des mensonges et des mauvaises intentions.

C’est toute la subtilité du scénario : planter les graines du doute chez le spectateur comme dans le corps enseignant. Jamais on ne verra les deux gamins, par qui tout serait arrivé. Ce sont les adultes qui se déchirent comme deux camps politiques s’affrontent.

D’un côté, une artiste, plutôt progressiste, mère de l’enfant accusé d’agression sexuelle et de violence physique. De l’autre, un couple en apparence soudé, aux idées plus conservatrices, défendant leur progéniture, victime désignée. Dans ce duel, la rivalité des mères est palpable. Pas seulement sur leur vision éducative. Le père (décédé) du garçon agresseur n’est autre que l’oncle du gamin agressé. Autrement dit, nous assistons à une guerre larvée entre une veuve et sa belle-sœur.

Inquiétudes et incertitudes

Tout commence avec une alarme détraquée dans une école qui se veut à la pointe en matière de dialogue avec les parents et les enfants. La caméra de Halfdan Ullmann Tøndel ne quittera pas l’établissement, explorant chacun des recoins, et rendant son huis-clos presque étouffant. Et de fait, on suffoque. Malaises, saignements de nez récurrents, fou rire incontrôlable, stress, vertiges, énervements : les adultes ne sont pas loin de la crise de nerfs. Il faut dire que les accusations sont graves. Mais elles ne sont qu’une interprétation : rien ne vient vérifier les faits.

Aussi le cinéaste décrypte davantage les conséquences que la cause. Ce qui l’intéresse est bien la réaction en chaîne d’une communauté, à l’image du film La chasse de Thomas Vinterberg. Cette bascule où une société sombre dans une forme d’intolérance et d’inhumanité, quand ce n’est pas de la bêtise.

La mère d’Armand, Elizabeth (Renate Reinsve, excellente même en dehors de l’univers de Joachim Trier), devient la cible des attaques. Tout la condamne : femme libre, actrice, mère célibataire, et par truchement, mauvaise maman. A l’inverse, Sarah (Ellen Dorrit Petersen, tout aussi impeccable avec ce rôle ingrat) parvient à conquérir les opinions (corps enseignant, parents d’élèves) avec ses arguments traditionalistes et ses piques mesquines. La plus dangereuse n’est pas forcément la plus fantasque.

Cris et chuchotements

Peu importe les versions, les doutes ou les vérités, cela devient une affaire d’état, qui dépasse le simple cas de harcèlement ou d’agression. Le film, de manière assez clinique, et parfois cynique, déconstruit méthodiquement, sous forme de procès, la fabrication d’un(e) coupable. Diffamation, mensonge, jalousie et détestation suffisent à empoisonner une communauté. Une violence sous-jacente et sourde qui suffit à rendre l’atmosphère pesante.

Le cinéaste se focalise sur les visages, les non dits, les réactions et les émotions pour illustrer cette dialectique sans être trop didactique. Il s’aventure aussi dans des parenthèses musicales (formidable partition signée Ella van der Woude) pour laisser un peu d’oxygène à son héroïne. Des moments aériens bienvenus, même s’ils étirent un peu le film jusqu’à lui enlever une grande partie de sa tension.

Cependant, le film, malgré quelques artifices scénaristiques, ne s’enlise pas dans les explications inutiles ou pesantes et laisse parler l’image. Ainsi, des valeurs morales érigées par la belle-sœur, dévorée par la peur, et une partie des adultes à l’indésirabilité de l’accusée, contrainte de s’isoler, Armand revendique un pouvoir de l’abstraction plus que de la figuration. A l’instar de l’épilogue sans paroles, où le déplacement des gens dans la cour d’école suffit à comprendre laquelle des deux femmes a vaincu.

En cela, le film d’Halfdan Ullmann Tøndel est avant tout un portraits de femmes antagonistes, avec leurs souffrances, leurs secrets et leurs failles intimes. Et sur l’impossibilité de les juger.

Armand
Cannes 2024. Un certain regard.
1h57
Sortie en salles : 27 septembre 2024
Avec Renate Reinsve, Ellen Dorrit Petersen, Thea Lambrechts Vaulen, Endre Hellestveit et Øystein Røger
Réalisation et scénario : Halfdan Ullmann Tøndel
Musique : Ella van der Woude
Distribution : Tandem