Cannes 2024 | L’histoire de Souleymane, un récit d’errance et d’espoir

Cannes 2024 | L’histoire de Souleymane, un récit d’errance et d’espoir

Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.

L’histoire de Souleymane a tout pour nous émouvoir. Le film est désigné pour titiller notre corde sensible humaniste. Nous voici en immersion avec ce jeune immigré guinéen, pendant près de trois jours, dans un Paris populaire et urbain, plutôt nocturne. Le montage est vif et serré, la caméra instable et en perpétuel mouvement, la forme se veut réaliste à la manière d’un reportage embarqué.

Rien de neuf cinématographiquement, mais on note une belle maîtrise de ce style par Boris Lojkine. Après avoir filmé l’Afrique (Camille, primé à Locarno) et le trajet migratoire vers l’Europe (Hope, à la Semaine de la Critique il y a dix ans), il continue d’explorer la dureté et les traumas de ceux qui rêvent d’une vie meilleure, confrontés à un chaos déshumanisant.

Ici, un livreur qui sous-loue un compte à un homme peu fiable. Il pédale toute la journée, affronte des restaurateurs parfois récalcitrants et des clients parfois capricieux, doit trouver une place dans un refuge chaque nuit, et tenter de récolter de l’argent en temps et heures pour récupérer son dossier de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Une course stressante contre la montre à chaque instant.

« Nous ne sommes pas vos esclaves! »

Un enchaînement de galères qui se succèdent à pleine vitesse. Et si le scénario ne surprend jamais tant les péripéties sont déjà vues et les prétextes très classiques, ce récit nous emporte assez facilement tant l’acteur Abou Sangare attire l’empathie. Pour ne pas dire une certaine sympathie.

Nouvel esclave des temps moderne, davantage en mode survie dans sa clandestinité (même si la scène avec les flics arrache un sourire), il est mal traité, méprisé, exploité et même arnaqué. En espérant que cela fera réfléchir bobos et classes moyennes sur leur comportement avec ces livreurs de repas… Cela pourrait surcharger la barque, mais Sangare parvient toujours à insuffler une humanité attachante et un tempérament combattif pour que le film ne sombre pas dans le misérabilisme habituel.

La vérité

Boris Lojkine lui offre même quelques respirations bienvenues, les plus beaux moments du film, lorsque son personnage est seul, même au fond du trou. À l’image de cette scène où il appelle en pleine nuit lui sa dulcinée restée en Afrique et qui lui demande si elle doit l’attendre ou se marier avec un ingénieur sur place. Par ailleurs, le cinéaste n’oublie pas l’aspect documentaire dans cette histoire semi-fictionnelle. Notamment en mettant en lumière tous ce business autour des immigrés, que ce soit pour une main d’œuvre bon marché ou pour obtenir des papiers.

Si le film n’a rien de révolutionnaire, formellement, et si cette histoire ne changera pas les opinions de chacun sur ce sujet, il traduit bien les dysfonctionnements d’une société piégée dans ses contradictions. Des algorithmes des plateformes aux restaurateurs, des consommateurs aux profiteurs, tout le système semble avoir besoin de ces immigrés sans jamais leur reconnaître le moindre droit.

On ignorera jusqu’au bout si Abou Sangare sera accepté comme réfugié. Il raconte son histoire devant une employée de l’Ofpra (Nina Meurisse, magnifique en fonctionnaire impassible et compréhensive). La fausse (celle qui permettrait d’avoir le Sésame) et la vraie (celle qui émeut par sa sincérité). Le film bascule d’ailleurs avec cette question : « C’est quoi votre histoire à vous? »

Vient alors un parcours individuel, intime, réellement touchant. Souleymane craque et Sangare fend ses carapaces, jusque dans ses bafouillements et quelques larmes. Dans ce huis-clos, avec de simples champs et contre-champs, en tête-à-tête, il y a une vérité qui surgit. C’est paradoxalement dans cette séquence écrite, dans ce duo théâtralisé, que le film délivre toute sa puissance. C’est aussi ici que réside la force du cinéma avec simplement deux acteurs, un texte, et de l’espoir.

L'histoire de Souleymane
Cannes 2024. Un Certain regard.
1h33
Sorties en salles : 27 novembre 2024
Avec Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow, Emmanuel Yovanie, Younoussa Diallo
Réalisation : Boris Lojkine
Scénario : Boris Lojkine et Delphine Agut
Distribution : Pyramide