Co-réalisé par Chiang Wei Liang et You Qiao Yin, Mongrel a remué nos entrailles durant ce Festival de Cannes. Peut-être même un peu trop…
Sales boulots pour sales types
A l’instar de milliers de Vietnamiens, Philippins, Indonésiens et Thaïlandais, Oom est un travailleur clandestin à Taïwan. Pour survivre, il s’occupe des basses besognes de son Boss, véritable vermine sans scrupule impliquée dans un trafic de migrants. En parallèle, Oom est aide à domicile pour des familles trop pauvres ou non désireuses de faire appel à une aide professionnelle.
Dès le premier plan, Chiang Wei Liang et You Qiao Yin choisissent de nous en mettre plein la vue. Un homme handicapé est allongé, de dos, les fesses couvertes d’excréments. Bientôt, un autre, Oom, commence à le nettoyer. La scène, qui dure plusieurs minutes, est à l’image de ce drame dont personne ne peut décemment sortir indemne.
Il faut dire qu’en montrant l’envers du décor de la migration taïwanaise et ses mécanismes les plus pervers (la séquence où des touristes remettent sereinement leur passeport à leur futur geôlier est glaçante), les deux cinéastes ne peuvent enjoliver l’horreur et le calvaire que bien trop d’hommes et de femmes subissent, incapables de quitter le refuge de misère qui deviendra leur foyer.
Pourtant, Oom semble retenir en lui comme une dernière étincelle d’espoir. Les autres migrants tentent de lui faire confiance (au début) car ils le savent proches de Boss et donc capables de plaider leur cause. Malheureusement, au jeu des plus démunis, Oom doit parfois faire le choix de sauver sa peau, quitte à sacrifier celle d’autrui.
Pendant plus de 2 heures, c’est donc une fausse traversée de la déprime que Mongrel propose. Fausse car, si l’on a le droit d’espérer un happy end pour un ou plusieurs personnages, Chiang Wei Liang et You Qiao Yin ne cessent de nous remettre face à la réalité du trafic d’êtres humains : tout le monde est responsable et s’en sortir veut souvenir dire mourir.
Coups et blessures
A n’en pas douter, Mongrel est l’un des films les plus bouleversants et violents de cette Quinzaine des Cinéastes. Non pas parce que le film regorge de scène particulièrement brutales mais parce que, bien au contraire, la violence réside souvent dans le hors-cadre et le hors-champ qui peuvent être facilement devinés.
L’homme que l’on voit être nettoyé au début du film est handicapé, sa mère est malade et a besoin d’être régulièrement dialysée. Mais l’on finit tout de même avec le coeur brisé face au destin funeste qui lui est réservé. Il en va de même pour Oom, personnage aussi ambivalent que ne l’est par définition l’être humain et qui, lorsqu’il choisit de faire le bien, est amené à le payer très cher.
Dans un Taïwan sombre et moite (il pleut la moitié du film), Wanlop Rungkumjad – qui incarne Oom – réussit l’exploit d’émouvoir à chacune de ses scènes. L’incarnation de ce personnage, l’énonciation de ses répliques et les gros plans sur son regard de chien battu (sans mauvais jeu de mots) font de lui un acteur à suivre. Car sa physicalité et son aptitude à s’imposer sans parler le rendent magnétique.
C’est donc avec un pincement au coeur qu’il nous faut lui dire au revoir, sans jamais savoir de quoi son avenir sera fait, à l’instar de ces centaines d’hommes et de femmes qui continuent à traverser les frontières de notre pays en quête d’un avenir meilleur. Le trouvent-ils ? Une fois de plus, nous n’en sommes jamais sûrs. Mais voulons-nous vraiment le savoir ? C’est la question que Mongrel ne prend pas la peine de nous poser, présentant la réalité des faits tels qu’ils sont : pour survivre, les gentils deviennent des méchants. Et passé un certains temps, tous les méchants meurent…
Mongrel de Chiang Wei Liang et You Qiao Yin
Festival de Cannes. Quinzaine des Cinéastes.
128 minutes.
Avec Wanlop Rungkumjad (Oom), Daniel Hong Yu-hong (Hsing), Lu Yi-ching (Mei), Kuo Shu-wei (Hui)
Scénario : Chiang Wei Liang
Son : RT Kao, Lim Ting Li
Décors : Liv Ye Chih-wei