Dans le cadre de rétrospectives dédiées à un cinéaste, le Centre Pompidou leur commande un film. La série s’intitule « Où en êtes-vous? » Honneur à Leos Carax, « l’un des grands artistes contemporains » dixit – avec justesse – Thierry Frémaux.
L’expo a été annulée. Mais Carax a fait ses devoirs. 40 minutes. « C’est pas moi ». Mais c’est bien lui. Un « Work in progress » haute couture. 20 minutes de plus et ça passait en compétition.
Film de montage, qui fait écho aux derniers essais cinématiques de Jean-Luc Godard, ce court métrage est un grand mix jouissif d’images, de musiques et de commentaires (parfois ironiques). Avec des slogans en lettres grasses et colorées : Elan vital, mauvais sang / mauvais père, Gloire, Le mauvais rêve se propage, « I’m OK, I’m K.O., I’m chaos », etc.
La grande boucle de cet « éternel recommencement » brasse dans un shaker des archives personnelles, des extraits de ses films ou d’autres œuvres qui l’ont influencé, des images d’actualités depuis les années 1930. Un vertige visuel hypnotisant et passionnant où le réalisateur se raconte, livre quelques réflexions, propose une vision du monde tantôt dépressive, tantôt joyeuse.
Madeleines de Proust
Le plaisir que cet autoportrait procure tient beaucoup à ce mash-up malin et frénétique. Pas seulement en revoyant avec plaisir des scènes de ses films, et ainsi revoir la splendeur de Juliette Binoche et de Guillaume Depardieu, les tourments de Denis Lavant et d’Adam Driver, la limousine d’Holy Motors et la marionnette Annette.
Carax partage aussi, avec malice, ses obsessions personnelles, ses influences artistiques, ses traumas existentiels (la dictature, l’antisémitisme, l’extrême droite), ses bonheurs intimes (sa fille, ses chats, ses chiens, ses œufs) et ses digressions amusantes (« je crois n’avoir jamais fait un plan en caméra subjective »).
C’est à la fois une synthèse de lui et un hommage au cinéma. Dans ce rafistolage très construit, le réalisateur raconte la Shoah à travers un conte pour endormir les enfants, multiplie les vignettes avec Tintin, partage l’histoire du grain de beauté de Marilyn, et insère le chignon de Vertigo, la chanson de Simon des Demoiselles des Rochefort jouée au piano, la lune éborgnée de Méliès ou encore Ravel, Lubitsch, Farouk, Bresson, Prokoviev, Alice Guy, Nina Simone, la voix de Barbara sur un répondeur, Kylie Minogue, Fritz Lang, Charles Laughton… « Il faut cligner des yeux : la beauté du monde nous l’impose ».
Une dinguerie créative et expérimentale. Un film court qui en dit long. Et qui s’achève, après le générique, par une ultime pirouette, sorte d’illusion ultime : Annette, fille de Driver et Cotillard, reproduisant la course dansée de Lavant dans Mauvais Sang. Modern Love de Bowie.
Où en êtes-vous Léos Carax ? Toujours au même endroit, sur une planète romantique.
C'est pas moi
Cannes 2024. Cannes Première.
Sortie en salles le 12 juin 2024.
40 mn.
Avec Denis Lavant, Ekaterina Yuspina, Loreta Juodkaite
Réalisation : Leos Carax
Distribution : Les films du Losange