Cannes 2024 | Oh, Canada : affliction d’un homme sans lendemains

Cannes 2024 | Oh, Canada : affliction d’un homme sans lendemains

Un célèbre documentariste canadien, condamné par la maladie, accorde une ultime interview à l’un de ses anciens élèves, pour dire enfin toute la vérité sur ce qu’a été sa vie. Une confession filmée sous les yeux de sa dernière épouse…

Avec cette adaptation de feu Russell Banks, Paul Schrader tente le portrait d’un homme, d’un art (le cinéma) et d’une époque en mutation sous forme de (faux) film biographique. En construisant la statue d’un cinéaste autrefois célébré et pas loin de rendre son dernier souffle, Schrader déconstruit tout autant les mythes, idéaux et combats d’une génération.

Sans qu’on sache précisément ce qu’il veut signifier aux suivantes : les grandes causes sont éphémères? l’Homme est lâche de nature ? le mensonge est inhérent à la création ? il faut séparer l’Homme de l’artiste ? Ou tout cela à la fois… Plus simplement, le film, plus désarticulé que vertébré, opte pour une autre voie : la vie est un spectacle permanent, et cela comprend la mort.

Paul Schrader tente de reconstituer le puzzle d’une vie, avec des pièces plus ou moins essentielles. Rien de très original (hormis ce jock-strap dessiné sur Jacob Elordi). Par petites touches, le parcours se dessine sous nos yeux, avec des épisodes anecdotiques, certains plus inspirés, d’autres déjà vus.

Du cul et de la culpabilité

En résumé, Oh, Canada est l’histoire banale d’un queutard qui a abandonné ses épouses, renoncé à une vie bourgeoise et prospère, pour s’exiler à Montréal et réaliser des documentaires engagés. On le croit héros, parce que déserteur. On le croit génie, parce qu’admiré et récompensé. Il n’est qu’un mec égoïste, en perpétuelle fuite, et qui tente de confesser ses péchés juste avant de mourir. Il n’est qu’un orgueilleux et un vaniteux qui cherche une forme de rédemption et de vérité alors que la lumière s’éteint définitivement.

Ces impressions nostalgiques et intimes ne suffisent pas à répondre aux questions posées dans le film. Tout juste, devinera-t-on que sa seule grande décision fut de passer la frontière canadienne… Cependant, au final, cette sonate de veillée funèbre nous laisse même assez indifférent.

Le scénario, avec ses flash backs répétés, nous balade dans le désordre chronologique et divers lieux, sans qu’on puisse s’attacher à un personnage ou une situation. La mise en scène, très convenue, empêche tout élan émotionnel. Il faut tout le talent de Richard Gere pour nous happer dans ce tourbillon de souvenirs brouillons.

Léo the Last

C’est d’ailleurs là que réside le véritable intérêt cinématographique du film. Interviewé par ses anciens élèves, rassuré par la présence de sa femme adorée (Uma Thurman, qu’on a plaisir à revoir, dans deux personnages distincts, et qui aurait mérité un rôle plus développé), ce Léonard mélange les époques, les faits, les secrets, les mensonges. Ce passé recomposé apparaît gazeux. L’esprit semble parfois dérailler. Schrader réussit à nous faire saisir cette confusion intime, ce mental qui ne parvient plus à coordonner une pensée.

Oh, Canada pourrait être un joli film sur la fin des illusions. Il aurait surtout valu qu’il soit moins lisse et faussement attendrissant. Le réalisateur n’a pas voulu abimer totalement son personnage, sympathique malgré tous ses défauts. Il a érigé trop de digues dans son récit, bloquant toute ironie, tout cynisme, toute autocritique.

Et pour cause. Schrader ne voulait pas faire le procès d’un artiste de sa génération, dont il se sent certainement proche. Avec une évidente condescendance, et sans aucune contradiction, il assume le fait qu’un artiste ne peut s’embarrasser des contraintes imposées par la société. Et après lui, le déluge.

Oh, Canada
Festival de Cannes 2024. Compétition.
1h35
Avec Richard Gere, Jacob Elordi, Uma Thurman, Michael Imperioli et
Kristine Froseth
Réalisation : Paul Schrader
Scénario : Paul Schrader, d'après le roman "Foregone" de Russell Banks
Distribution : ARP Sélection