Cannes 2024 | David Cronenberg explore le deuil et le complotisme dans Les Linceuls

Cannes 2024 | David Cronenberg explore le deuil et le complotisme dans Les Linceuls

Karsh, 50 ans, est un homme d’affaires renommé. Inconsolable depuis le décès de son épouse, il invente un système révolutionnaire et controversé, GraveTech, qui permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Une nuit, plusieurs tombes, dont celle de sa femme, sont vandalisées. Karsh se met en quête des coupables.

David Cronenberg continue d’explorer la manière dont la technologie transforme nos usages et nos existences, à travers un apparent thriller qui mute lentement en théorie du complot généralisée. Tout commence avec cet entrepreneur veuf, toujours éploré après le décès de sa femme, et qui a inventé un concept de cimetière révolutionnaire : le linceul connecté permettant de voir nos chers disparus se décomposer en temps réel. Invention révolutionnaire qu’il expérimente évidemment sur le corps de sa propre femme, et dont il est suffisamment fier pour en faire la démonstration lors d’un blind date qui, étonnamment, tourne court. 

Les linceuls commence ainsi avec une bonne dose d’humour noir rapidement mâtinée de polar lorsque le cimetière high tech est retrouvé vandalisé. Militants écologistes en colère ? Services secrets russes ou chinois ? Fanatiques religieux ? Toutes les pistes sont crédibles, et l’on se dit que l’on tient peut-être le meilleur cru cronenbergien depuis des lustres, qui explore (non sans ironie) des thématiques actuelles fortes telles que l’obsession pour les objets connectés, l’espionnage et la surveillance des citoyens à grande échelle, ou encore les risques environnementaux liés aux rejets de métaux lourds et autres composants électroniques dans les sols. 

Complotisme à tous les étages

Las, après un certain nombre de rebondissements plus ou moins crédibles ou passionnants, et surtout d’interminables dialogues sagement filmés en champ-contrechamp, on se rend compte qu’il n’en est rien. Il ne faut pas compter sur le réalisateur pour adresser réellement ces thématiques, qu’il se contente d’aligner à l’écran comme on ferait une liste de courses. Même chose pour l’un des phénomènes de société les plus représentatifs de notre époque : le complotisme rampant, dont il se moque ouvertement (via le personnage de la belle-sœur notamment). Sauf que plus le film avance, et plus il joue de cette confusion entre complots réels et affabulations délirantes, jusqu’à totalement perdre le fil de son récit – et le spectateur avec. 

Le plus navrant est sans doute l’obsession nourrie par le personnage principal pour le corps de sa femme, vivante ou morte. Dans le premier cas, c’est juste du sexisme ordinaire : lorsqu’il parle de la défunte (et du manque qu’elle a laissé), il évoque systématiquement son corps qui semble être ce qui lui manque le plus. Et l’on devine que c’est aussi ce qui le pousse dans les bras de sa belle-sœur – la ressemblance physique étant troublante entre les deux femmes. Dans le second cas, c’est carrément morbide, puisque le personnage se repaît de la décomposition de ce corps chéri, suivant chaque étape du processus à travers son écran. Dans ses cauchemars issus du passé, c’est encore et toujours le corps de la défunte qui occupe la place centrale. Un corps systématiquement dénudé, et peu à peu mutilé, qu’il continue de vouloir posséder entièrement.

On appréciera l’apport du cinéaste aux réflexions sur l’objectification des femmes. Car sinon, quelle autre raison pourrait-il avoir d’appuyer lourdement sur ce processus (sous couvert de dérision ?) en le poussant à son paroxysme ?  Les apparitions de Diane Kruger en fantôme démembré seraient ainsi presque comiques si elles n’en étaient pas vaguement ridicules et répétitives. La vérité, c’est que l’on a bien du mal à voir où veut en venir le cinéaste, si ce n’est nous expliquer à quel point il est compliqué de faire le deuil de ceux que l’on aime. Dommage qu’il lui faille pour cela une couche technologique qu’il n’approfondit pas vraiment, des motifs paranoïaques tous mis sur le même plan, et surtout un flot quasi ininterrompu de dialogues qui tournent vertigineusement en rond.

Fiche technique
Les Linceuls
Cannes 2024. Compétition
Avec Vincent Cassel, Diane Kruger, Guy Pearce, Sandrine Holt...
Réalisation et scénario : David Cronenberg
Musique : Howard Shore
Distribution : Pyramide
Sortie française : 25 septembre 2024