Cannes 2024 | Hugo Bardin (Paloma) : « En tant que personne queer, je n’ai pas d’autre choix que d’être politique »

Cannes 2024 | Hugo Bardin (Paloma) : « En tant que personne queer, je n’ai pas d’autre choix que d’être politique »

Gagnant incontestable de la première saison de Drag Race France sous les traits de Paloma, Hugo Bardin, 32 ans, fait ces jours-ci sensation sur la Croisette en tant que juré de la Queer Palm. Nous l’avons rencontré sur au bord de la plage, le temps d’une interview zéro chichi zéro (fashion) faux-pas !

Comment se passe ton premier Festival de Cannes ? D’ailleurs, est-ce ton premier festival ?

Officiellement, c’est un peu mon premier… J’en avais fait un il y a onze ans avec une accréditation du Cours Florent et c’était franchement pas la même expérience. C’était un peu humiliant…

Pourquoi ça ?

Parce que je venais sans raison. Enfin, je venais avec Neiges d’automne, mon long métrage que j’avais autoproduit. On était arrivé avec les comédiennes, avec des DVD dans les sacs en se disant : « On va aller au marché du film, on va essayer de le présenter ! » On a surtout fait des files d’attente, on s’est pris des refus de partout et c’était assez. Mais c’est bien de le faire comme ça avant de le faire de manière plus officielle, de l’avoir connu différemment.

Tu savoures encore plus ?

Ouais, et puis j’ai conscience de la chance que j’ai surtout.

Peux-tu me citer une chose complètement vraie sur le Festival de Cannes que tu as remarqué cette fois-ci?

Que tous les gens qui sont là ne sont pas forcément là pour parler de cinéma.

Et quelque chose de complètement faux ?

(Rires.) Que tout le monde est bien habillé à Cannes.

Je vais essayer de ne pas le prendre personnellement…

Non, pas toi ! C’est vraiment pas pour toi ! (Rires.)

Ça te fait quoi d’être juré de la Queer Palm ?

Je suis fier ! Je suis même hyper fier, non seulement être juré tout court parce que c’est vraiment un privilège, mais de l’être pour une compétition parallèle. Évidemment que je serais ravi un jour d’être juré dans la compétition officielle. Me rendre compte aussi qu’il y a un cinéma queer, qu’il a besoin de nous – et ça, je le savais déjà -, et d’être plus mis en valeur, tout ça est essentiel. Être juré à la Queer Palm ça permet de se rendre compte qu’il y a encore du travail pour les personnes queer en France. (Pause.) Je comprends toujours pas pourquoi la Queer Palm ne soit pas mieux reconnue. C’est très pénible ! Encore plus quand on en a besoin, comme en ce moment.

C’est-à-dire ?

Ce serait un geste fort, je trouve.

Ⓒ Kameliya Stoeva

Et comment devient-on juré de la Queer Palm ?

J’avais travaillé avec Franck Finance-Madureira avant : j’étais dans le jury du Festival du court-métrage à Clermont-Ferrand. J’étais dans le jury de la Queer Palm de Clermont l’année dernière et il m’avait dit comme ça « Oh ça te dirait d’être dans le jury à Cannes ? ». J’ai dit oui – évidemment – ça ne se refuse pas. Et le temps a passé… Je pensais qu’il avait oublié et en fait non ! Il m’a rappelé, il m’a dit « Tu veux toujours le faire ? » Évidemment ! Et puis il m’a dit que le président du jury, ce serait Lukas Dhont. Et là j’ai dit « Bon bah c’est parfait ! »

Le truc le plus fou qui te soit arrivé depuis ton arrivée ?

Globalement, le festival se passe bien pour moi. Je n’ai pas eu de mauvaises surprises, je n’ai pas eu d’accident, je n’ai pas eu de problème de tenue, de rencontre si improbable que ça. Mais ouais, un ou deux chocs ciné que j’ai vus ! Mais je peux pas en parler… C’est frustrant.

Hugo préfère-t-il être devant ou derrière la caméra ?

Ah, c’est une bonne question ça ! En fait, pendant très longtemps, j’aurais dit derrière… Parce que je ne m’autorisais pas, je pense, d’être devant la caméra ou très peu. Et puis surtout, j’adore réaliser. C’est vraiment mon métier. C’est ce que j’aime le plus faire. Si je devais choisir un métier, ça serait celui-là. Mais depuis deux ans, je redécouvre le plaisir d’être comédien et d’être un peu dans la lumière aussi. Donc je m’autorise un peu d’égocentrisme.

Hugo est-il plutôt Festival de Cannes ou Festival d’Avignon ?

Ah bah Festival de Cannes ! Cannes parce que Avignon, c’est… j’adore le théâtre, mais c’est pas pareil, je ne pourrais pas le décrire mais je préfère Cannes.

Es-tu d’accord avec l’idée que pour faire du drag, il faut l’envisager comme être un athlète de haut niveau et que l’on ne peut pas se contenter d’être un peu bon ?

Ah oui ! Surtout quand on est un drag comédien. Enfin, moi je me mets dix fois plus de pression. Et en fait ça vaut pour le drag et pour le fait d’être comédien. En tant que drag queens, on est déjà tellement peu pris au sérieux par le reste de la profession. Ça reste quand même un truc un peu obscur, même si Drag Race France a pas mal changé les choses. Mais moi, je ne m’autorise pas la médiocrité. Je sais que si je ne suis pas au top, je ne vais pas être crédible auprès de mes semblables, et alors encore moins auprès du reste du monde…

Tu peux développer ?

C’est déjà tellement notre lot quotidien de se faire traiter de clown ou de monstre. Alors en tant que comédien, j’ai l’impression de devoir faire dix fois plus. Parce qu’il faut aussi que je prouve que je ne suis pas juste là parce que j’ai gagné Drag Race France, mais que je suis là parce que j’ai quelque chose à offrir. Aujourd’hui, j’ai des opportunités que je n’avais pas avant. Mais j’ai conscience aussi qu’avoir fait Drag Race France m’a ouvert des portes et que ça me met dans une case… Et parfois, j’ai envie de l’agrandir cette case.

Est-ce que c’est à Clermont-Ferrand que t’as été le plus fier de jouer ton spectacle Paloma au PluriElles ?

Pas forcément. Quand j’y ai monté des spectacles, avant d’avoir fait Drag Race France, je n’ai pas forcément reçu l’accueil espéré. Désormais, je reviens par la grande porte, et c’est assez agréable. Il y a un petit côté revanche ! Mais j’aime jouer partout. Je suis beaucoup plus fier de donner de la visibilité à la scène queer dans des endroits où elle est cachée plutôt qu’à Clermont-Ferrand. Même si je suis quand même très content de retourner à Clermont.

Quels costumes de films aurais-tu adoré dessiner et confectionner ?

Punaise, y en a trop !

Tu peux en donner plusieurs…

Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de Peter Greenaway. Mais bon, c’est Jean-Paul Gaultier et il a bien taffé… Sinon il y a Huit femmes de François Ozon. Et un troisième… Gosford Park de Robert Altman

Est-ce que Hugo a autant de lâcher prise que Paloma ?

Non, non, non. J’apprends, c’est pas facile. Disons que là, pour venir à Cannes, il a quand même fallu que je change ma couleur de cheveux et que je me sape pour me sentir un peu en sécurité. Au début, je me suis dit « Je vais être là en civil, j’aurais pas ma carapace de Paloma » Et juste après je me suis dit « Allez, amuse-toi, fais-toi des looks et tout ! » Mais c’est vrai que j’ai encore beaucoup le réflexe – comme beaucoup de drag queens – de me sentir plus en sécurité quand je suis Paloma parce que ça met une distance. Ça fait que deux ans seulement que je suis dans la lumière en tant que Hugo.

Et qu’apprends-tu ?

A me sentir légitime.

Qu’est ce qui a vraiment changé dans le quotidien de Hugo depuis que Paloma est aussi connue – hormis les opportunités professionnelles ?

Je ne peux plus aller sur Grindr sans qu’on me dise « Paloma ! » déjà.

C’est si problématique que ça ?

C’est chiant ! Franchement, c’est chiant.

Et en dehors de ça ?

Ça m’a politisé en tant que personne.

Parce que tu ne l’étais pas avant ?

C’est pas que je ne l’étais pas, c’est que j’étais moins verbal. Et la responsabilité que j’ai avec Paloma – qui est quelque chose que j’accepte et que j’ai accepté tout de suite, que j’ai pris à bras le corps – je ne l’ai pas forcément tout de suite accepté en tant que Hugo. J’avais l’impression que c’était Paloma qui était politisée et que Hugo, il n’avait pas forcément son mot à dire.

Pourquoi ?

J’ai parfois l’impression qu’on impose aux artistes d’être politiques mais que les artistes n’ont pas forcément les armes pour parler de politique. Je trouve qu’on est souvent dur avec les artistes quand ils parlent de politique ! Et Paloma, pour moi, ce n’est pas qu’une artiste. Le drag est un personnage politique qui est un personnage social avant d’être un personnage de scène. Dans l’histoire du drag, le drag a toujours été politique, donc c’était facile pour moi de me dire « Ok, Paloma va être un porte-drapeau ! »

Et Hugo alors ?

Hugo ça a été un peu plus long… mais ça m’a appris qu’en en tant que personne queer, je n’ai pas d’autre choix que d’être politique.

Un conseil que tu donnerais à un jeune cinéaste qui débute ?

N’écoute pas les gens qui te disent que ça va être compliqué, qu’il faut avoir de la chance, qu’il faut avoir du réseau… N’écoute pas ça. Moi, on me l’a trop répété. J’y ai cru et pendant longtemps je me suis dit « En fait, si je ne fais pas les bonnes écoles, un parcours classique, si je ne suis pas dans les codes hétéronormés, si je ne fais pas ce que tout le monde fait, ça ne va pas marcher. » J’ai perdu du temps à écouter les autres. J’ai perdu du temps à essayer de me banaliser alors que j’étais queer, que j’étais camp.

Tu sens une différence de regard sur ton travail ?

Je me souviens qu’à 20 ans, tout le monde me disait « Ah, t’es le prochain Xavier Dolan ! » Tout le monde me disait ça, tout le monde me disait « Vous avez quasiment le même âge, vous faites les mêmes choses au même âge, vous avez le même style de cinéma, vous avez des trucs en commun, un peu queer, un peu camp » Et je le voyais progresser. Je me disais « Putain et moi ? »

Ⓒ Kameliya Stoeva

Et donc ?

J’ai perdu du temps à refouler mon côté original et camp. Je me dis que si j’avais accepté ça et que je l’avais revendiqué plus tôt, je ne sais pas comment les choses se seraient passées pour moi. Mais en fait, il ne faut pas chercher à canaliser son originalité, ça sert à rien, surtout quand on est artiste. C’est toujours ça qui paiera à un moment. Les gens qui bossent, se donnent du mal et qui sont sincères dans leur démarche, seront récompensés.

Dirais-tu la même chose à un jeune comédien ?

Oui, c’est la même chose ! J’ai fait le Cours Florent, mais pas le Conservatoire. Je n’ai pas voulu faire les grandes écoles parce que ça me gonflait qu’on m’apprenne une manière de jouer et qu’on me formate. Je voulais travailler en fait. Les écoles, c’est très bien, mais c’est pas là qu’on apprend son métier. On apprend son métier en jouant, en faisant des rencontres, en se nourrissant. Et de toute façon, les comédiens, ça reste de la matière vivante. Et c’est le point de vue qu’on pose sur eux, sur nous, qui crée une carrière d’une certaine manière, ainsi que les choix qu’on faits. Il ne faut pas chercher à être banal en tant que comédien. Tu as des acteurs, ça fait 30 ans qu’ils jouent la même chose, mais ce sont les seuls à le faire et on pense à eux pour ça. Rossy de Palma par exemple, si elle a une carrière, c’est parce qu’elle est bizarre, originale, c’est parce qu’elle n’est pas dans les normes. Et moi je préfère être un weirdo.

Fanny Ardant et Rossy de Palma sont tes deux plus grosses inspirations ?

Pas du tout ! (Rires.) Rossy oui, je l’adore. Mais Fanny Ardant, non. Quand j’avais neuf ans, j’ai eu une fascination pour elle, mais j’avais une fascination pour les actrices de manière générale et une espèce de sympathie et d’indulgence pour toutes les actrices. Je l’aime bien, j’avoue. J’aime bien les actrices un peu masculines qui ont un truc un peu ambigu. Jeanne Balibar, Ronit Elkabetz. Des meufs comme ça qui ont des grosses voix.

Et Fanny Ardant ?

Fanny Ardant pour moi, elle est trop problématique… Mais je lui pardonne plus facilement que je ne pardonnerais à un homme parce que je pense que c’est beaucoup plus compliqué pour une femme, surtout de cette génération.

Pourquoi cela ? 

Parce qu’elles ont dû échapper à trop de choses à mon avis. A un moment, elles n’avaient pas le choix. Je leur en veux maintenant, mais je serais pas aussi dur qu’avec avec les mecs. Non, moi l’actrice qui m’inspire le plus et je le dis tout le temps parce que je l’aime d’un amour sans limite, c’est Emmanuelle Béart. C’est vraiment une des meilleures actrices françaises de cinéma et de théâtre et que le milieu du cinéma est extrêmement cruel avec elle. Et je trouve que c’est l’exemple même d’une actrice qui a été un peu victime des réalisateurs et victime de l’image qu’on a voulu lui donner.

Ah oui ?

Il y a très peu de gens qui ont réussi à voir au-delà de sa plastique et au moment où elle a abîmé cette plastique, le cinéma l’a rejetée et je trouve que ça en dit très long sur la place des femmes dans notre société et sur le fait que les hommes et le patriarcat sont vachement aux commandes. Emmanuelle Béart me bouleverse en tant qu’actrice, mais elle me bouleverse aussi en tant que femme.

Suite à toutes les affaires #MeToo, ta vision du cinéma français a-t-elle changé ?

Quand je faisais mes études de théâtre et que je commençais à bosser dans le cinéma tout en bas de l’échelle pour gagner ma vie et jusqu’à très récemment, j’étais sur des plateaux de tournage, je faisais de l’habillage, de la coiffure, du costume et parfois même du make-up. Quand tu es face au pire du métier, où tu vois les comédiens en slip se comporter très mal, dire du mal des équipes, dire du mal d’autres acteurs, être machistes, être sexistes, être problématiques.

Qu’entends-tu par « problématique » ?

J’ai vu des acteurs se comporter très mal avec des habilleuses, j’ai vu du harcèlement (Pause) Je sais très bien que des gens vont dire « Mais pourquoi t’as rien fait ? ». Mais parce que j’étais en bas de l’échelle et que ma parole n’avait pas de valeur. Et en plus je suis une personne queer. Donc ma parole a à peine plus de valeur sur l’échelle sociale que celle d’une femme ! Je sais très bien ce qui se cache derrière tout ça. Donc il y a des gens que j’ai côtoyés et que j’ai vu agir et que maintenant je recroise… et je sais très bien comment ils sont.

Pour en revenir à la dualité qui fait ta particularité, si Paloma était une œuvre artistique, quelle serait-elle ?

J’hésite… J’ai quand même très envie de parler de Mylène Farmer mais c’est un peu cliché à ce point. J’aimerais te dire que je suis quand même un peu un personnage d’Almodovar. J’aimerais être un mélange entre un personnage d’Almodovar, une chanson de Barbara et un Modigliani.

Ah oui quand même…

(Rires) Bah tant qu’à faire, autant prendre des trucs pas mal, tu vois.

Même question pour Hugo, s’il était une œuvre…

J’aimerais bien être quelque part dans des dialogues d’Agnès Jaoui. Ça me plairait.

À quel point faire du drag, ça t’a aidé en tant que réalisateur et metteur en scène ?

Avant de vraiment faire carrière avec le drag, je me rends compte que je projetais des fantasmes esthétiques sur les femmes et j’avais peut-être tendance à être dans ce truc un peu cliché des metteurs en scène homosexuels qui vont sur-esthétiser les femmes, les mettre dans des positions de muse ou d’icône (…) Depuis que j’explore ma féminité de manière très exacerbée, j’ai envie d’écrire des choses plus simples et plus subtiles sur les femmes. Et si je dois aller dans des choses très esthétiques ou en tout cas un peu artificielles, j’aimerais le faire avec un point de vue plus féminin.

Et tu y arrives ?

C’est quelque chose que je fais dans Paloma au PluriElles. J’ai envie qu’on me dise que je rends justice aux femmes et que c’est une déclaration d’amour que je leur fais à chaque fois. Alors je ne peux pas écrire comme une femme, je le sais très bien, mais écrire quelque chose qui ne soit pas juste un point de vue masculin ou un point de vue homosexuel sur les femmes, c’est possible.

Et pour finir, il porte quoi ou qui Hugo aujourd’hui ?

Je porte un costume avec un short de costume Steven Passaro, en dessous un full body en résille de chez Bluge et un petit string noir en dessous. Voilà ! Et des bijoux de chez Antic & Tonic. Mais regarde mes stories Instagram, je les ai tagués.