Cannes 2024 | Le comte de Monte Cristo : le retour plein de panache du vengeur masqué

Cannes 2024 | Le comte de Monte Cristo : le retour plein de panache du vengeur masqué

Victime d’un complot, le jeune Edmond Dantès est arrêté le jour de son mariage pour un crime qu’il n’a pas commis. Après quatorze ans de détention au château d’If, il parvient à s’évader. Devenu immensément riche, il revient sous l’identité du comte de Monte-Cristo pour se venger des trois hommes qui l’ont trahi.

Après le diptyque autour des Trois Mousquetaires, revoilà l’imagination d’Alexandre Dumas au cinéma. Soit les deux fresques romanesques historiques les plus adaptées pour le grand écran. Techniquement, D’Artagnan/Milady et Le Comte de Monte Cristo ont actualisé ces deux histoires d’antan, les rendant plus « modernes » et plus rythmées, mêlant habilement l’intrigue, l’action, les jeux de dupes et les enjeux romantiques.

Cependant, là où la résurrection des mousquetaires souffrait d’une dilution du matériau littéraire, au point de désincarner ses personnages, réduits à leur stéréotype, le retour d’Edmond Dantès est aussi ravissant que flamboyant, même quand il prend ses libertés avec le livre originel (nouveaux personnages, situations inventées et d’autres supprimées).

Un justicier dans la ville

Aussi surprenant soit-il, tant on connaît l’histoire, le Comte n’est pas apparu au cinéma depuis 22 ans (et dans le cinéma français depuis 56 ans). Il y a bien eu un feuilleton catégorie XXL en 1998. Mais la lourdeur de la mise en scène de Josée Dayan ne rendait pas hommage à la vivacité du héros.

Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, également scénaristes des Trois Mousquetaires, s’aventurent pour la première fois en tant que cinéastes dans le genre avec un brio louable. De Marseille et son château d’If à Paris, avec une brève étape en Italie (bien plus courte que dans le roman), leur récit se déroule sans accros, avec une fluidité efficace. Tenir trois heures nécessite en effet un bon découpage, des acteurs de très bon niveau, et une série d’événements capables de ne pas endormir le spectateur. En cela, leur ambition atteint son but.

« Tu serais coupable, on t’aurait pendu. »

Nul besoin d’aller chercher une profondeur sociologique ou une vérité historique. Le comte de Monte Cristo est une histoire de vengeance d’un transfuge de classes, piégé par des corrompus et des envieurs. Oubliez le carton pâte, les dialogues à rallonge, ou les anachronismes qui font hype : les décors sont naturels, le répliques fusent, et les moyens sont ceux de l’époque.

Ici, clairement, le film profite d’un luxueux budget (40M€), d’un chic casting (enrichissant les agents d’Adéquat, Contact et UBBA) et d’un savoir-faire de plusieurs corps de métier visant chacun l’excellence.

Un peu comme les feuilletons de l’été, les promesses sont tenues : il y a de beaux salauds (Bastien Bouillon et Patrick Mille surclasseraient presque Laurent Laffite à ce jeu là), une grande romance gâchée (avec la gracieuse et splendide Anaïs Demoustier) et une plus prometteuse (avec le bien choisi Vassili Schneider), des complices farouches (le placide et parfait Pierfrancesco Favino, l’étonnante Anamaria Vartolomei, à contre-emploi,, le jeune et fougueux Julien de Saint Jean) et de l’action. Pierre Niney, au centre de tout ce tourbillon de vie et de mort, rayonne, qu’il soit jeune héros ou sombre justicier ayant pris vingt ans dans la gueule. Il ne se ménage pas côté défis et ne cherche pas à rendre son personnage plus sympathique qu’il ne l’est.

Gentleman revenchard

Idoine pour ce grand spectacle populaire par excellence, où se mêlent trésor des Templiers, trahisons et manigances, névroses et amours perdus, Niney est un merveilleux comte de Monte Cristo. Il peut surtout compter sur un scénario superbement fignolé, avec quelques ellipses bienvenues en lieu et place d’un didactisme répulsif.

« – Tu aurais du me tuer. Il n’ait jamais trop tard. »

Reste que la réalisation, aussi appliquée soit-elle, manque peut-être d’inspiration ou d’audace. Certes l’image est belle, la musique, un peu trop présente, s’adapte bien, et on ne s’ennuie jamais. Mais, quitte à adapter Dumas aujourd’hui, peut-être pouvions nous espérer un peu de transgression (au delà des personnages féminins, réécrits de manière assez contemporaine) et un peu plus d’épate. Avec cette armée des ombres (une élite dévoyée) et chacun avançant masqué (à commencer par le Comte), l’histoire est celle d’êtres dédoublés ou scindés en deux. Et jamais la mise en scène ne met en exergue cet angle là, préférant un déroulé plus classique, pour ne pas dire déjà vu.

La Patellière et Delaporte ont préféré s’appliquer à faire un Lupin des temps Napoléoniens, un Squid game avec comme justicier un citoyen sans foi ni loi (quand bien même est-il dans son droit). C’est toute la limite de vouloir transposer ces grands romans. Cela reste un combat viriliste, peu féministe, entre riches. Un jeu d’échecs entre des personnes très egotiques, voire égocentriques. Quitte à s‘arranger avec le roman, pourquoi ne pas s’en affranchir? Avec comme objectif, le plaisir d’offrir une véritable relecture, et même une révision du livre ? Cela aurait peut-être eu plus de panache. D’autant que ce Comte de Monte Cristo n’en manque pas.

Le comte de Monte Cristo
Cannes 2024. Hors Compétition.
Sortie en salles : 28 juin 2024
2h58
Avec Pierre Niney, Bastien Bouillon, Anaïs Demoustier, Anamaria Vartolomei, Laurent Lafitte, Pierfrancesco Favino, Patrick Mille, Vassili Schneider, Julien de Saint Jean
Réalisation : Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière
Scénario : Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière, d'après l'œuvre d'Alexandre Dumas
Musique : Jérôme Rebotier
Distribution : Pathé