Cannes 2024 | « Les sept samouraïs » d’Akira Kurosawa : restauration classieuse pour une version intégrale

Cannes 2024 | « Les sept samouraïs » d’Akira Kurosawa : restauration classieuse pour une version intégrale

Au XVIe siècle, époque de grande violence au Japon, une bande de guerriers sans pitié opprime et rançonne un village de paysans. Désespérés, ces derniers se résolvent à engager des samouraïs pour les protéger. Kambei, aidé de son disciple Katsushiro, recrute quatre soldats errants ainsi qu’un demi-fou, Kikuchiyo. Peu à peu, ils s’intègrent au village dans un climat de confiance. Grâce à un entraînement intensif, et parfois cocasse, les villageois se préparent à défendre leurs biens et à combattre aux côtés des samouraïs…

C’est un classique parmi les classiques, et 70 ans plus tard Les sept samouraïs du grand Akira Kurosawa revient dans les salles de cinéma, plus beau que jamais : en version intégrale restaurée en 4K. Le film est présenté au Festival de Cannes, dans le care de Cannes Classics, là où Kurosawa avait reçu une Palme d’or en 1980 pour Kagemusha, l’ombre du guerrier (Palme d’or ex-aequo avec Que le spectacle commence de Bob Fosse).

Les films d’Akira Kurosawa sont admirés par les plus grands tels George Lucas, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, John Woo, Bong Joo-ho… Avant Les sept samouraïs, son quatorzième film, qui avait reçu le Lion d’argent du festival de Venise en 1954, il avait déjà réalisé Rashōmon (Lion d’or à Venise en 1951) et Vivre (prix Spécial du Jury à Berlin en 1954 aussi). Par la suite, il y a eu Dersou Ouzala qui remporta l’Oscar du meilleur film étranger en 1976 et enfin la Palme d’or de Cannes pour Kagemusha, l’Ombre du guerrier.

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Depuis 1943, Akira Kurosawa tournait chaque année un nouveau film. L’ambition des Sept samouraïs demanda un peu plus de temps : un tournage étalé sur environ une année, un large budget dépassé (le film japonais le plus cher de son époque au point d’amener les dirigeants de la Toho à vouloir abandonner le projet), trois caméras utilisées en simultané (c’était rare à l’époque à cause du coût et du nombre énorme de mètre de pellicule à traiter, même quatre caméras pour la bataille finale), une très longue séquence de bataille (mythique) sous la pluie… Pour l’époque, Les sept samouraïs était déjà un grand film impressionnant. Et il l’est resté au fil du temps.

Trois chapitres

Le premier tiers du film raconte le recrutement des samouraïs : il y en a quatre, puis six, avec différents âges et profils d’expériences, et ce n’est d’ailleurs pas évident pour eux de s’entendre pour former un groupe. Cette quête pour les trouver montre aussi en creux une certaine hiérarchie de classes entre les paysans et les samouraïs.

Une fois que ces samouraïs deviennent sept, c’est la mise en place d’une sorte de stratégie pour défendre le village contre la bande de bandits : identification des diverses entrées, tour de garde la nuit… Et pendant ce temps le plus jeune des samouraïs est séduit par une jeune fille du village. Le père lui avait coupé ses longs cheveux pour que justement ça n’arrive pas. Les femmes sont en général absentes des films de samouraïs, et ici la jeune fille du village a elle un rôle principal dans le récit : il s’agit pour elle de suivre son propre désir tout en s’émancipant de l’autorité de son père.

Enfin, le dernier tiers du film va être la confrontation de tous ce beau monde avec la bande de bandits, de retour pour attaquer le village. On va voir une très longue séquence de bataille héroïque avec plusieurs assauts pendant trois jours, dont une bataille grandiose sous la pluie, ce dernier acte est particulièrement épique. Avec ce final, Kurosawa devient d’ailleurs le cinéaste de la pluie.

Parmi les samouraïs, on remarque forcément celui qui va devenir leur chef joué par Takashi Shimura et le plus jeune d’entre eux qui demande à être formé en tant que disciple joué par Isao Kimura. Il y a également un autre samouraï notable, par son exubérance : c’est le grand acteur Toshirō Mifune, qui a d’ailleurs joué dans 15 autres films du cinéaste.

Indépassable

Les sept samouraïs concentre tout ce qui fait un grand film : un conflit qui serait perdu d’avance tel David contre Goliath, de la romance contrariée (et plutôt interdite entre la jeune villageoise et le disciple), un peu de comédie (avec le personnage de Toshirō Mifune exagérément expansif), et dans l’ensemble, un grand divertissement spectaculaire. Le film a été et reste encore un modèle qui influence plusieurs remakes : le plus connu Les sept mercenaires de John Sturges en 1960 et le plus récent Rebel Moon: un enfant du feu et sa suite Rebel Moon: l’entailleuse de Zack Snyder l’année dernière. Sans oublier qu’on retrouve des éléments du film dans d’immenses blockbusters contemporains.

Pour Akira Kurosawa, la forme cinématographique doit servir un propos significatif, sans se perdre dans la superficialité. Ce film, particulièrement, mêle ainsi réalisme, action, humanisme et humour, mettant en avant les contrastes entre idéalisme samouraï et réalisme paysan.

Les images en noir et blanc captivent par leur profondeur de champ exceptionnelle, soulignant la beauté esthétique et la richesse émotionnelle des protagonistes. Mais c’est avant tout le rythme du film, habilement dosé entre contemplation et action vive, et soutenu par un montage dynamique, qui stimule chaque séquence, même les plus simples. S’inspirant des westerns de John Ford, Kurosawa évite alors les excès narratifs, préférant créer de l’attente à travers des ellipses et des séquences brèves.

Les bons, les nobles et les bandits

Cette précision narrative est en soi une leçon de cinéma, tout comme la manière dont le cinéaste caractérise ses personnages et leurs relations de manière subtile. Pourtant on ne retient souvent que les scènes d’action, pas si épiques même pour l’époque. Kurosawa utilise des techniques novatrices telles que le ralenti pour intensifier les moments violents et dramatiser les actions. La pluie, à la fois esthétique et symbolique, accentue la gravité de la scène finale. Tout est chorégraphie. Le film est un immense ballet où chaque se déplace, court, bouge, se bat.

Chef-d’œuvre qui allie spectaculaire et profondeur, réflexion sur l’art du cinéma et sur la complexité des relations humaines, Les Sept Samouraïs, est une forme d’ode contemporaine au passé, non dénuée d’espoir ni d’humanité. D’où ce choix de mélanger le drame réaliste, avec le quotidien précaire des paysans et des ronins, et des scènes d’action prodigieuses, au service de l’histoire (alors que souvent aujourd’hui, c’est l’inverse : l’histoire est un prétexte à l’action).

Mais peut-être faut-il aussi trouver dans ce film la dimension secrète de son éclat. Si l’on parle toujours de la pluie, il ne faudrait pas oublier que ce film de plus de trois heures est aussi un hymne à la natire. Les éléments naturels sont omniprésents, tout à la fois bienfaiteurs et hostiles. Des vents rudes ou doux, des plaines arides ou des terres abondantes, des déluges à torrent et des soleils éclatants. Aussi, on peut dire que l’homme remet son destin entre les mains de l’incertain…

Les Sept samouraïs
Cannes 2024. Cannes Classics.
Sortie en salles : 2 décembre 1955 ; reprise : 3 juillet 2024
3h 27min
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Akira Kurosawa, Shinobu Hashimoto
Avec Toshirô Mifune, Takashi Shimura, Keiko Tsushima
Distribution : The Jokers