Cannes 2024 | Le roman de Jim, histoire d’un père courage

Cannes 2024 | Le roman de Jim, histoire d’un père courage

Aymeric retrouve Florence, une ancienne collègue de travail, au hasard d’une soirée à Saint-Claude dans le Haut-Jura. Elle est enceinte de six mois et célibataire. Quand Jim nait, Aymeric est là. Ils passent de belles années ensemble, jusqu’au jour où Christophe, le père naturel de Jim, débarque… Ça pourrait être le début d’un mélo, c’est aussi le début d’une odyssée de la paternité.

Arnaud et Jean-Marie Larrieu aiment les montagnes, les hommes vulnérables, les femmes assumées et les sentiments compliqués. Rien de neuf, même dans ce Jura rural qui tient de décor pour Le roman de Jim.

Sans aucun doute, il s’agit de leur film le plus sensible et le plus juste depuis près de quinze ans. Une forme de régénération, y compris dans le choix des interprètes, qui les éloigne de certains de leurs délires pour parvenir à un récit plus consensuel et plus romanesque.

Karimastique

Le roman de Jim porte mal son titre. Il s’agit avant tout de l’histoire d’Aymeric, homme banal, honnête, gentil, précaire, ballotté par les humeurs et aspirations des autres. Karim Leklou accapare toute la lumière et impose une présence charismatique à ce récit très classique. En explorant toutes les facettes d’une masculinité fragile, déconstruite, anti-machiste, il éblouit certains plans au point d’en oublier le reste du cadre.

Il y est tellement présent, avec son corps et ses expressions, qu’il souligne à lui seul les défauts du film. À commencer par les personnages qui gravitent autour de lui. Traités de manière assez inégale, on se désintéresse assez vite de la plupart. Laetitia Dosch, qu’on sait par ailleurs formidable, semble mal dirigée, et hérite d’un rôle finalement très ingrat. Bertrand Belin n’a rien à jouer hormis un dépressif effacé. Quant au Jim, petit ou grand, il est juste l’archétype dune gamin puis d’un grand ado, sans aucune profondeur réelle. Reste Sara Giraudeau, corps sculpté sec, danseuse enivrante, qui arrive tardivement dans la chronologie du film. Avec peu de mots, elle habite immédiatement l’écran et donne un relief inattendu à la période la plus contemporaine du Roman de Jim.

Film bipolaire

C’est encore une fois à ce moment, quand le personnage de Sara Giraudeau surgit devant nos yeux, qu’on comprend à quel point le film souffre de sa première (longue) partie. Le scénario est clairement mal embarqué dès le début. Les frères Larrieu n’ont pas su comment tout raconter. Aussi, subit-on un enchaînement véloce et superficiel d’événements. Les années, les saisons s’égrainent à vitesse grand V. Pas le temps de s’installer dans une situation ou une tranche de vie. On passe à la suivante. Nul crescendo. Nul drame (même une séparation est bienveillante). Et encore moins de rigueur sur l’arc narratif du collectif. On ne se concentre finalement que sur Aymeric.

Ainsi quand le couple se défait, que la mère de Jim décide de changer de vie et de partir avec le géniteur plutôt que de rester avec le père de cœur, on constate qu’il manque quelques pièces au puzzle pour rendre la situation cohérente ou au moins plausible. Au pire, il manque une scène cruciale dans le trio qui fasse comprendre le processus de décision amenant Laetitia Dosch à retrouver les bras de Bertrand Belin et à le suivre dans son exil. On en revient au traitement bancal des personnages « secondaires » qui ne devraient pas l’être.

Paradoxalement, c’est bien cette cassure entre Aymeric et Florence (Dosch), qui va libérer le film. La mise en scène, jusqu’ici un peu brouillonne, alternant les plans simples et les idées un peu originales (comme les négatifs des photos en guise de souvenirs / flash-backs), se pose et ne cherche plus à dériver d’une époque à l’autre.

Impairs et père

Le roman de Jim s’installe enfin, même si parfois il continue à vouloir accélérer inutilement, empêchant à une scène de se déployer complètement. Le mille-feuilles du début s’allège et enlève ses couches une par une pour se recentrer sur son objectif.

De l’histoire de mœurs pas si singulière, il ne reste alors qu’une crise existentielle d’un homme passé à côté de ses responsabilités, traversé par la culpabilité, et en manque d’une paternité nostalgique et heureuse.

Le film se reconstruit alors avec davantage de lumière et d’épure. À l’instar de son personnage principal. Si bien que, malgré tous ses défauts, il réussit à nous toucher profondément, en plein cœur. Une émotion bienvenue et pas factice. C’est même cette sincérité, à l’image du jeu de Leklou, qui rend cette ballade si belle et si réconfortante. Rien que pour cela, Le roman de Jim valait le coup d’aller jusqu’à son épilogue simple et oisif.

Le roman de Jim.
Festival de Cannes 2024. Cannes Première.
Sortie en salles : 14 octobre 2024
1h41
Avec Karim Leklou, Laetitia Dosch, Sara Giraudeau, Bertrand Belin, Noée Abita
Réalisation : Arnaud et Jean-Marie Larrieu
Scénario : Arnaud et Jean-Marie Larrieu, d'après le roman éponyme de Pierric Bailly
Musique : Bertrand Belin et Shane Copin (musique électronique)
Distribution : Pyramide