Un récit de trois heures. Et un titre original (Sterben, qui veut dire mourir) peu engageant. Pourtant, sans se compromettre dans un découpage de feuilleton ou de série, Matthias Glasner réussit à nous maintenir bien en vie durant cette épopée familiale chaotique.
Tom, chef d’orchestre, est pris au milieu d’un tourbillon de l’existence, entre son ex-femme, son père mourant, sa mère égocentrique, son meilleur ami suicidaire, une amante sans lendemains, et une sœur paumée, Ellen, pas mieux lotie avec ses addictions (alcool) et sa liaison (un collègue marié).
Prix du scénario au Festival de Berlin, récompense méritée dans cette catégorie, La partition est un opéra contemporain jouant sur les dissonances entre ses personnages. Loin de faire un chœur uni, l’ensemble tente de faire coexister des individus, pas forcément aimables, qui ont finalement peu en commun malgré leur liens.
À défaut d’empathie pour eux, le spectateur éprouve une forme de compassion pour ces âmes déchirées et leurs failles béantes. À l’image de cette partition moderne, à la fois lyrique, symphonique, séduisante dans sa forme, mais si abscons de l’aveu même des musiciens, du chef d’orchestre et du compositeur, le film tente l’équilibre entre des destins ordinaires, des femmes et des hommes si peu déterminés et un propos plus philosophique sur ces liaisons qui les unissent ou les désunissent.
« On s’est mis ensemble le jour où elle a avorté de notre bébé ».
Les ramifications d’une vie et les étranges coups du sort s’entrelacent au fil des périodes qui passent. La temporalité n’est soulignée que par quelques faits chronologiques (une naissance, un décès, une séparation, une première) et un point de vue chapitré (le frère, la sœur, etc.). Le reste n’est relié que par des ellipses aussi invisibles que bienvenues.
Entre dépressions, colères, jalousies, rancœurs, alzheimer, et autres sentiments toxiques, rien n’épargne Tom (Lars Eidinger, d’une justesse impeccable) et son entourage. Glasner filme pourtant cela sans pathos, sans mélo. Parfois, il insère une ironie un peu cinglante et irrévérencieuse dans son récit. Manière de montrer comment il est facile de fuir ses responsabilités ou de se protéger avec un peu de cynisme. Plus généralement, le réalisateur privilégie une certaine froideur, plus que glaçante.
Filmer l’indifférence
À l’instar de cette séquence fascinante entre Tom et sa mère, qui confesse que son corps décline et que le temps restant se réduit. Plans fixes sur leur dialogu autour d’une banale table, juste après les funérailles du père. Champ et contre-champ, rien de plus classique. Rien de plus clinique. La réunion pourrait être touchante, elle s’avère effroyable. Les confessions de chacun révèle une indifférence réelle à l’égard de l’autre. Il n’y a pas plus d’amour maternel que d’amour filial. « Pourquoi nous sommes des gens horribles ? ».
À elle seule, cette scène, au mitan, donne le ton du film. Une absence de séduction, d’évidence. Mais c’ets avant tout une observation fine de la complexité humaine et de ses névroses insolubles. Quitte à ne pas être dans les conventions.
Ce qui intéresse Matthias Glasner est davantage de l’ordre d’une quête de vérité, ou en tout cas, de sincérité. Une mise à nue des arrières pensées en explorant les non dits, les secrets, les tabous psychologiques, mais aussi en confrontant les protagonistes à des actes ou des paroles transgressives. On comprend vite que l’enfer c’est les autres, plongés dans des dilemmes ou face à des réalités insupportables, mais surtout que le paradis est inatteignable.
Cette famille, élargie, dysfonctionnelle, patiente jusqu’à sa fin inéluctable, naturelle, accidentelle ou volontaire. Entre temps, tous dérivent en perdition vers les limbes d’une existence condamnée.
La partition cherche, comme ses personnages, son équilibre entre radicalisme et compromis, exigence et acceptation. Si, sur la forme, le film a plutôt fait le choix du conformisme visuel, sur le fond, il gratte le vernis apparent de protagonistes désespérés.
Alors certes, on s’attendait à un peu plus de brio dans la mise en scène. Mais l’intensité des interprétations, la maîtrise d’un scénario ambitieux , malgré quelques grosses ficelles parfois, et l’intention même du récit, permetten à ce long drame d’avoir du relief et du caractère.
Mourir? Certes, mais d’abord il faut vivre, sans faux-semblants (ces artifices qui empêchent d’être libres). Or « tout le monde n’a pas le talent pour être heureux ». Il reste l’amour et l’art. Seuls espoirs pour survivre.
La partition (Sterben)
Durée : 3h
Sortie en salles : 4 septembre 2024
Réalisation et Scénario : Matthias Glasner
Musique : Lorenz Dangel
Avec : Lars Eidinger, Corinna Harfouch , Lilith Stangenberg, Robert Gwisdek, Ronald Zehrfeld
Distribution : Bodega