C’était en 1971, au Festival de Cannes. Dalton Trumbo et son film Johnny got his gun font l’effet d’une bombe. Le primo-cinéaste remporte alors un Grand Prix Spécial du Jury et le Prix Fipresci. Le film figure depuis au panthéon des œuvres qui révèlent les cruautés d’une guerre, et par ricochet distille une critique antimilitariste.
Johnny got his gun est un film toujours aussi puissant aujourd’hui et il est possible de le (re)découvrir en salles avec une nouvelle copie numérique 4K. Présentée en section Cannes Classics au dernier Festival de Cannes, le film reste l’un des plus violents pamphlets contre la guerre de l’histoire du cinéma. Trumbo adapte en pleine guerre du Vietnam son propre roman, écrit juste avant que n’éclate la Seconde guerre mondiale. Car une guerre reste une guerre et l’intégrité de son auteur face à ce carnage produit un film choc.
Joe Bonham est un jeune Américain plein d’enthousiasme. Il décide de s’engager pour aller combattre sur le front pendant la Première Guerre mondiale. Lors d’une dangereuse mission, il est très gravement blessé par un obus. Le personnel médical, croyant qu’il n’est plus conscient, décide pour le sauver de l’amputer de ses bras et de ses jambes. Il perd également une partie de son visage, ne pouvant plus ni parler, ni entendre, ni sentir. Mais il est conscient. Dans la chambre d’un hôpital, il tente de communiquer et se souvient de son histoire…
Pourtant cette résonance avec la guerre du Vietnam est presque un hasard. Donald Trumbo cherchait depuis de nombreuses années à faire produire ce film. Malheureusement le scénariste doublement oscarisé d’Un nommé Joe, Gun Crazy, Vacances romaines, Exodus et Spartacus s’est retrouvé sur la liste noire du sénateur MacCarthy, l’empêchant de travailler aux Etats-Unis durant une longue période. Exilé au Mexique, il y rencontre Luis Buñuel, avec lequel il écrit une première version de Johnny s’en va-t-en guerre, qui n’a aboutit pas. Une autre tentative en 1967 échoue faute du budget nécessaire.
Universel
Johnny got his gun se déroule dans le contexte de la première guerre mondiale. Aussi, son adaptation est restée ancrée dans cette période historique. Même si la puissance du film est telle que le propos peut concerner n’importe quelle guerre.
Un jeune garçon avec l’avenir devant lui (et qui vient de découvrir l’amour) est envoyé sur le front. Il en revient sans bras ni jambes, sans visage (perdant la vue et la parole), et sans qu’on sache si son cerveau fonctionne encore : c’est un corps très diminué, et d’ailleurs est-ce encore un homme ? La hiérarchie militaire et les médecins décident de le soigner, mais Johnny est encore conscient : « Je ne suis plus qu’un morceau de viande qu’on maintient en vie… ».
L’originalité cinématographique du film est que les séquences du présent sont dans un noir et blanc déshumanisant et morbide, et que les souvenirs de Johnny brillent de couleurs, tout comme ses rêves et ses cauchemars. L’histoire avance parallèlement entre un Johnny qui prend conscience de son état et son corps, réceptif à certaines sensations (comme la chaleur du soleil à travers une fenêtre), sans qu’il puisse communiquer.
Au delà de la catastrophe subie par Johnny et des réactions autour de lui (militaires et soignants), le film ne fait pas que dénoncer la guerre. Il évoque aussi d’autres thèmes sensibles comme ceux de la remise en question de la foi religieuse (on y voit le regretté Donald Sutherland dans le rôle d’un Christ) ou encore le droit à mourir dans la dignité.
Ce que je voulais surtout montrer c’étaient les résultats de la guerre ; car j’ai vu tellement de films contre la guerre ne provoquant qu’une répulsion physique que je voulais atteindre, moi, la répulsion du cœur et de l’esprit.
Dalton Trumbo
Un dialogue entre Johnny, quand il était encore enfant, et son père (Jason Robards) est particulièrement évocateur, quand le fils demande avec innocence « c’est quoi la démocratie ? », ce à quoi son père répond « c’est comme les autres gouvernements, ça a un rapport avec ce qui pousse les jeunes à s’entretuer » ; et le fils de rétorquer avec naïveté (et provocation pour le spectateur) « pourquoi les vieux ne s’entretuent pas ? ».
Dalton Trumbo était un grand écrivain, en plus d’être scénariste. Il donne au 7e art un film de guerre à hauteur d’hommes, avec tout ce que cela implique de complexité, de philosophie et d’humanisme. On en sort ébahi et abattu. Un film qui change le regard, c’est si rare. L’histoire d’un calvaire poignant. Difficile d’en sortir indemne.
Johnny got his gun (Johnny s'en va-t-en guerre)
Réalisation : Dalton trumbo
Sortie en salles en version nouvelle copie numérique 4K : 11 septembre 2024
Durée : 1h52
Avec Timothy Bottoms, Kathy Fields, Donald Sutherland, Marsha Hunt, Jason Robards, Diane Varsi...