Dès ses débuts, il a montré une autre façon de réaliser des films noirs. Avec lui, les films de gangsters et les polars prennent des airs de tragédie familiale (Little Odessa en 1994, The Yards en 2000, La nuit nous appartient en 2007) et le poids de la famille est assez lourd pour contrarier une romance amoureuse (Two lovers en 2008, The immigrant en 2013). Puis, il a eu envie d’aventures, d’explorer l’inconnu (The lost city of Z en 2016, Ad Astra en 2019) avant de revenir vers son enfance (Armageddon Time en 2022). Si l’on peut parler d’un univers autour de son œuvre, il est certain que James Gray a surtout le désir de filmer la complexité (parfois sombre) des relations humaines, notamment à l’intérieur des familles ou des clans.
Devant sa caméra, il a mis en scène Joaquin Phoenix (quatre films), Mark Wahlberg (deux films), Brad Pitt, Charlize Theron, Eva Mendes, Gwyneth Paltrow, Robert Duvall, Tim Roth, Vinessa Shaw, Edward Furlong, Marion Cotillard, Jeremy Renner, Charlie Hunnam, Robert Pattinson, Tom Holland, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, Anne Hathaway, Anthony Hopkins, et aussi les légendes James Caan, Vanessa Redgrave, Faye Dunaway… Il y a pire casting.
Un cinéaste maudit?
Sa filmographie durant ses trente dernières années ont fait de lui un des cinéastes américains actuels des plus passionnants et les plus respectés par la Critique (notamment en France). Mais aussi l’un des plus snobés. Cinq films en compétition à Cannes et aucun prix. Aucune nomination à un quelconque Oscar. Même les Independent Film Awards, plus raffinés, ne l’ont jamais récompensé. Deux nominations aux César infructueuses. Seul Venise lui a décerné un Lion d’argent pour Little Odessa. Le public n’a pas été plus reconnaissant. Hormis le coûteux Ad Astra, et sa promesse SF, qui a rapporté 135M$ dans le monde, aucun de ses films n’a réussi à toucher un large public. La nuit nous appartient est le seul drame qui a su séduire les spectateurs hors de la sphère cinéphile.
Ce 50e Festival americain de Deauville a rendu un Hommage à James Gray : cela marque aussi son retour à Deauville après sa première venue pour accompagner son tout premier film Little Odessa, qui avait remporté le Prix de la critique.
Il aime bien raconter l’histoire de sa première projection pour ce film. C’était à Venise et tout s’est très mal passé (il était trop habillé, son acteur Maximilian Schell n’aimait pas le film…), même s’il a été primé (Lion d’argent du meilleur réalisateur et Coupe Volpi du meilleur second rôle féminin pour son actrice Vanessa Redgrave). Il a rappelé qu’à l’inverse la projection à Deauville s’est très bien déroulée, avec un bien meilleur accueil : ce qui l’a rendu très heureux en tant qu’admirateur du cinéma français (il a chez lui une affiche du film Les bonnes femmes que lui a dédicacée Claude Chabrol).
Sa filmographie a été projetée lors de cette édition deauvilloise, parallèlement à une ‘Conversation avec James Gray‘ durant laquelle il a moins parlé de ses films et davantage de sa vision idéale de ce que le cinéma devrait être : il a répété plusieurs fois « une transcendance de la réalité« .
Culture matters
La crise du cinéma aujourd’hui c’est qu’on demande aux artistes d’apporter des solutions à des échecs politiques, ce n’est pas notre rôle. Les artistes ont le devoir de transcender la réalité. Il y a des films qui sont là pour remplir un certain vide culturel mais ce n’est pas suffisant. Les films de super-héros c’est comme du fast-food, ça ne nourrit pas vraiment, il n’y a aucune connexion avec une vraie histoire. Il y a aussi certains films plus indépendants où la caméra est enlevée du trépied pour la porter en filmant de très près la réalité. Ce qui manque, c’est le milieu de tout ça, des films qui transcendent la réalité. Une œuvre d’art n’a pas besoin d’un contexte explicatif.
Cinéma matters
Le cinema européen et le cinéma américain au fond sont assez similaire. De plus, beaucoup de cinéastes qui ont fait l’histoire du cinéma américain ont apporté leur sensibilité européenne comme Billy Wilder ou Alfred Hitchcock et plus tard ‘le nouvel hollywood’ avec Martin Scorsese et Francis Ford Coppola, qui ont aussi des influences européennes. Apocalypse now de Coppola a su raconter à sa manière quelle forme de fascisme représente le fait de bombarder autre peuple. Chez Visconti et d’autres il y a eu une sensibilité à l’Histoire et aux classes sociales. Aujourd’hui le cinéma américain est plus focalisé sur des questions de l’identité, ça m’intéresse moins.
Dans les films américains, il y a beaucoup de conflits externes où il faut battre un méchant, alors que ce qui est plus intéressant, c’est le conflit intérieur : comme, par exemple ,décider de se sacrifier pour le bien-être de sa soeur (The Immigrant). Le ‘film de gangster’ est une porte d’entrée, avec des règles qui sont faites pour être tordues ou cassées. Pour The Yards, j’ai justement évité certains clichés du film de gangster, l’opéra a aussi été une source d’inspiration, j’ai voulu inclure dans ce genre du mélodrame avec un éventail d’émotions humaines.
Le véritable conflit interne chez moi aujourd’hui, c’est cette idée répandue qu’il faut gagner le plus d’argent possible. Pour mes films je demande parfois beaucoup d’argent et il faut convaincre des financiers qu’il y aura un retour sur leur investissements, ce qui n’est pas vraiment le cas. Monétiser une intégrité artistique c’est compliqué.