« En 1996 j’ai passé le concours du conservatoire. Je l’ai raté. Il y a un an on m’a demandé d’y faire une masterclass sur le jeu d’acteur au cinéma. J’y suis allée. J’ai rencontré une jeunesse vivante, joyeuse et passionnée. Parmi mes élèves il y avait Clémence. L’année d’après, elle m’a demandé de filmer leur dernier spectacle. J’ai ressenti son urgence et la peur qu’elle avait de quitter ce lieu mythique. Alors j’ai accepté. En filmant cette jeunesse, j’ai revisité la mienne. » Valérie Donzelli
Dès sa jeunesse Valérie Donzelli voulait être comédienne. Et dès ses débuts d’actrice, elle avait été remarquée avec son premier grand rôle au cinéma dans Martha… Martha de Sandrine Veysset en 2001. Elle a eu ensuite plusieurs rôles secondaires dans d’autres films plus ou moins confidentiels (Les Âmes câlines de Thomas Bardinet) et quelques comédies mieux distribuées (Le Plus Beau Jour de ma vie de Julie Lipinski), mais, faute de propositions majeures, elle se l’offre à elle-même : La reine des pommes, sa première réalisation, en 2009.
Sans doute regrette-t-elle un peu l’enthousiasme de sa propre jeunesse pour les feux de la rampe, et la frustration de ne pas être sur scène. Aussi, ce film documentaire Rue du Conservatoire lui permet d’observer des jeunes comédiens terminant leur cursus d’apprentissage artistique, avec tout le travail préparatoire des répétitions avant la représentation d’une nouvelle pièce de théâtre : une adaptation inédite et insolite de Hamlet, pour laquelle personne n’était prêt…
On ne fait pas d’Hamlet sans casser des œufs
Une visite de Valérie Donzelli au Conservatoire pour une masterclasse sur le thème du jeu lui fait rencontrer une jeune génération d’actrices et d’acteurs en formation. Parmi eux, la jeune Clémence Coulon qui va la rappeler plus tard pour lui demander si elle veut bien filmer la préparation d’une pièce de théâtre qu’elle se prépare à mettre en scène. La fougue de Clémence est communicative et Valérie accepte de venir régulièrement les filmer. Leur pièce de théâtre est est une version presque transgressive du Hamlet de Shakespeare : il y aura un peu de chanson, il y aura plus d’humour, et surtout le personnage en cours de représentation sera tué pour être joué par celui d’Ophélie.
« Finissons ensemble quelque chose »
Le projet est un peu fou mais peu importe. Rue du Conservatoire raconte avant tout la longue période d’explorations qui mènent à la concrétisation d’un projet artistique. Il documente les doutes et les galères de l’ensemble de cette troupe de comédiennes et comédiens au travail, et plus que tout, il témoigne de leur passion pour ce métier un peu fou. Toute cette bande ( la promotion 2022 du CNSAD) montre déjà professionnalisme et talent.
Et ce documentaire enchante en dévoilant les coulisses d’une gestation créative : costumes, décors, duel à l’épée, chanter ou ne pas chanter, telle est la question, qui va faire quoi et comment, chaque étape est une progression vers la date finale où la pièce devra être jouée devant un public.
L’esprit de troupe
En parallèle des répétitions et de leurs péripéties, Valérie Donzelli interroge également les uns et les autres sur leur avenir. Car ce projet de pièce en commun signe aussi la fin d’une aventure commune. Ils vont tous quitter le Conservatoire et plonger dans l’intermittence et l’incertitude.
Le cinéma en appelle quelques uns devant les caméras. Par exemple, Andranic Manet que l’on voit très peu dans ce documentaire parce qu’il quitte assez vite la préparation de cette pièce pour un tournage, ou Lomane de Dietrich remarquée dans Le Retour de Catherine Corsini.
La caméra est posée un peu partout mais reste discrète. Valérie Donzelli capte tout, mais personne ne fait vraiment attention à elle. La réalisatrice parvient même à s’effacer peu à peu de l’image, pour finalement ne faire que des commentaires en voix-off. Ou une interaction entre la troupe et cette « reporterre » de jeu : « Valérie, pourquoi tu fais des films, toi ? ». Elle avait évoqué ce vaste sujet lors d’une rencontre au Festival de Angoulême.
Ce film Rue du Conservatoire documente l’effervescence de la création, avec ce que cela implique d’être collectif, au-delà des égos trempés et des doutes des individus.
Bien sûr, ils craignent un peu de ne plus retrouver ce joyeux esprit de bande après le Conservatoire. Nostalgie des cours de récré finalement. Ils vont tous quitter un cocon pour plonger dans la réalité. Une trajectoire qui ramène à Valérie Donzelli confrontée à d’autres changements au moment de ce documentaire. Déménagement, cinquantaine, … Rue du conservatoire est le tableau vivant d’une transition vers l’inconnu.
Rue du Conservatoire
1h20.
Avec Clémence Coulon, Hélène Gigou, Chloé Besson, Lomane de Dietrich, Alexandre Auvergne...
Réalisation : Valérie Donzelli
Distribution : Diaphana