Dans un monde de plus en plus fou, Lino qui a décidé de tout plaquer, va se rendre compte que finalement : tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien !
Finalement est le 51e film de Claude Lelouch. Une longévité et une régularité remarquables, marque de fabrique d’une passion inaliénable pour le cinéma. En clôture à Deauville, dont il a créé d’une certaine manière la légende avec Un homme et une femme, Palme d’or, le mélo a un titre testamentaire, même si l’on sait qu’il a déjà écrit un 52e long métrage.
Il y a une généalogie qui se dessine. Comme un arbre enraciné dans le sable normand et qui déploie ses multiples branches au fil des décennies, avec une cohérence indiscutable : mes amis, mes amours, mes emmerdes, et dans tout ça des hasards, des coïncidences, des élans du cœur et des envies d’avoir envie, un zest de mysticisme et une mythologie humaine. Ses histoires ont une structure assez semblable qu’on peut se résumer en parcourant les titres de sa filmo. Le sympathique Lelouch, caméra toujours à l’épaule ou smartphone en mode vidéo permanent, nous raconte encore et toujours La Vie, l’Amour, la Mort (1968) pour les Les Uns et les Autres (1981).
Finalement ne fait pas exception. Comme pour la plupart de ses films les plus récents, le cinéaste radote un peu avec un récit qui peut se résumer ainsi : Toute une vie (1974) et Si c’était à refaire (1976). Cette énième variation de la même histoire : celle d’un homme qui se voit approcher de la mort et qui fait une sorte de bilan de sa vie. Pour son plus grand bonheur, il va de nouveau croiser l’amour.
Karma fataliste
Forcément, il y a des hauts et des bas chez Lelouch. Voire des très hauts et des très bas. Reconnaissons que le cinéaste indépendant, autodidacte et engagé dans son métier n’a pas démérité. Certes, il ne fera jamais mieux que Un homme et une femme (1966), mais on peut au moins lui reconnaître un grand film par décennie (L’aventure c’est l’aventure en 1972, Itinéraire d’un enfant gâté en 1988, Les Misérables en 1994).
Ici, les familiers de son cinéma vont se retrouver en terrain connu : une pléiade de personnages, de longs dialogues où on exprime ses questions exitentielles, des chansons qui se répètent en boucle (ici avec Didier Barbelivien aux paroles et Ibrahim Maalouf à la musique, on a connu plus hype), des digressions tantôt amusantes tantôt déroutantes, et bien entendu du sentimentalisme qui dégouline sous forme de sirop trop sucré. Il faut plus de 2 heures presque indigestes pour que Finalement se déroule vers une conclusion en guise d’aphorisme comme Lelouch les aime ; « tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! » (variation de « à chaque malheur quelque chose est bon« ). Pas sûr.
Evidemment, ce corpus cinématographique devient touchant tant les propos assénés depuis près de 60 ans ressemblent à une série de livres sur le développement personnel. Force est de constater que ça ne lui a pas trop mal réussi. Mais son scénario brode jusqu’à l’épuisement de son sujet les souvenirs de son cinéma auquel il imagine une suite fantasmée.
Merad, Fabian, Gillard et les autres
Le personnage principal Kad Merad s’appelle Lino. Il serait le fils du couple formé par Lino Ventura (oui il a le prénom de l’acteur qui joue son père, malin) et Françoise Fabian dans La Bonne Année en 1973 (objectivement, un de ses meilleurs films). Les deux comédiens avaient été récompensés à San Sebastian, le film a fait l’objet d’un remake à Hollywood et comptait parmi les références que Stanley Kubrick montrait à ses acteurs. C’est dire le niveau.
Françoise Fabian reprend ici son rôle d’antan, cinquante ans plus tard et toujours aussi charismatique. Pour le reste du casting, on croise plusieurs autres actrices de ses précédents films (Elsa Zylberstein, Sandrine Bonnaire, Clémentine Célarié…) et quelques nouveaux visages dans son univers (Barbara Pravi, Julie Ferrier). Le réalisateur a toujours su s’entourer d’une troupe d’acteurs étonnante avec un mélange de têtes d’affiche, de noms has-been, et de récentes révélations.
Si Lelouch n’est clairement pas toujours un bon scénariste, il est réputé pour mettre en valeur ses acteurs, à juste titre, même dans ses films médiocres. Si Finalement tourne autour du personnage principal de Kad Merad, la grande révélation du film est la mise en lumière de l’actrice Françoise Gillard, excellente sociétaire de la Comédie-Française : c’est elle qui rend le film attachant dans chacune des séquences qui forment en pointillé la véritable trajectoire du film.
On découvre donc ce personnage de Lino qui fait du stop. Auprès de chaque automobiliste, il raconte une histoire différente sur son identité : il aurait été un prêtre libertin, un réalisateur de films porno, un avocat réputé… C’est un homme qui vogue sur les routes. Après une cinquantaine bien passée, il a décidé de fuguer loin de sa vie confortable et de sa grande famille pour parler avec des inconnus. Emmanuelle Bercot (Elle s’en va) ou Ducastel et Martineau (Drôle de Félix) ont déjà emprunté, avec bien plus de grâce, ces errances hors sentiers battus.
Turbo et messe
Ainsi Lino se ballade du côté du Mont Saint-Michel, de la Normandie, du circuit automobile des 24 heures du Mans (toujours cette fascination si écocide de la course automobile), du chemin du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle ou encore dans la papale Avignon (Dieu n’est jamais loin, d’ailleurs Jésus s’invite dans le film).
Lino serait en quête d’un nouveau sens à sa vie, tandis que pour sa famille et son meilleur ami, il est perdu quelque part. On cherche à le retrouver (Belmondo avait déjà fait le coup, de manière plus flamboyante dans Itinéraire d’un enfant gâté). Ses proches sont de plus en plus inquiets tandis que Lino s’émerveille de plus en plus. Il est perçu comme un mythomane ou comme un candide. Et avouons-le, Kad Merad est le bon interprète pour les ambivalences de ce personnage.
Les autres protagonistes sont bien moins importants. Ils ne font que passer le temps d’une scène (souvent anecdotique) ou incarnent un cliché (Elsa Zylberstein en épouse consternée, Michel Boujenah en meilleur ami concerné). Le personnage le plus humain de cette aventure prend les traits de Manon, une exploitante agricole en difficulté (économique autant que sentimentale) jouée par la merveilleuse Françoise Gillard. Quasiment la seule à jouer avec justesse les émotions de ses dialogues quand les autres semblent trop réciter leur texte.
Le film se construit autour de multitudes de digressions façon puzzle. Des parenthèses souvent dispensables pour ponctuer le tour de Gaule de Lino. Sa fugue en avant et apparemment sans but va progressivement laisser deviner la trame principale de l’histoire, soit les séquences les plus romantiques (et aussi les plus musicales).
Fallait pas le dire
Sans vraiment de surprise, on comprend que Lelouch refait encore du Lelouch, jusqu’à la caricature. Il tourne en rond et s’inspire surtout de lui-même avec diverses auto-citations quitte à remodeler une sorte de Lelouch-cinematic-universe. Son personnage principal est un homme âgé, bourgeois, et d’une autre époque (comme dans beaucoup de ses films récents). Une carte postale vintage d’une France d’avant (un peu rance, un peu réac), hétéronormée et patriarcale, qui n’évoque pas grand chose de la réalité de notre époque. À force de s’encroûter près des Champs-Elysées, de ne fantasmer que sur des endroits chics et tocs, l’octogénaire semble s’enliser dans un mode de pensée désuet et s’enfermer dans l’idée d’un monde disparu.
Pire, le propos de deux séquences semble anachronique par rapport à une plus grande considération de la parole des femmes. Un dialogue remet en cause la sincérité d’une femme qui a porté plainte pour viol (avec le récit du prêtre libertin), et une plaidoirie dans un tribunal défend l’utilité de la prostitution avec des arguments typiques de ceux des clients-hommes (plutôt que les arguments des travailleuse du sexe)… Clairement Lelouch ne cherche pas à se déconstruire et regrette le temps où les machos étaient admirés. C’est d’autant plus étonnant que le cinéaste a toujours aimer les hommes vulnérables, impuissants face à leurs sentiments, intimidés par la présence de l’autre sexe. Mais, qui peut-être surpris? Car, dans le même temps, chez lui le mâle est toujours nécessaire et dominant, souvent grivois et arrogant.
Au-delà des chemins de traverse et de cette vision enrobée de naphtaline, Finalement est une compilation de petites histoires parfois fantasques qui puisent dans le passé du fictif Lino et souvent fantaisistes qui piochent dans la filmographie du réalisateur. Finalement a des airs de mash-ups avec ses dialogues reconnaissables en un clin d’œil et ses extraits issus d’autres films lelouchiens. Un composite qui a tout d’un compost.
Au moins, le cinéaste surprend avec sa manière de filmer une fable déjà vue. Sa manière de déconstruire et reconstruire son récit non linéaire parvient à un effet kaléidoscopique assez ludique. La forme emballe plus que le fond, finalement.
Finalement
2h07
Avec Kad Merad, Françoise Gillard, Elsa Zylberstein, Michel Boujenah, Françoise Fabian, Sandrine Bonnaire, Barbara Pravi, Marianne Denicourt, Clémentine Célarié...
Réalisation : Claude Lelouch
Distribution : Metropolitan