Il est l’un des cinéastes les plus populaires de ces quarante dernières années. Robert Zemeckis a réalisé neuf films ayant récolté plus de 200M$ dans le monde. Sa filmographie comporte des blockbusters cultes (Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit), des films familiaux populaires (Le drôle de Nöel de Scrooge, Le Pôle express), des thrillers à succès (Apparences), de la SF haut de gamme (Contact), du drame épique (Seul au monde), de la rom-com atemporelle (À la poursuite du diamant vert), du film à Oscars (Forrest Gump), mais aussi du film d’espionnage (Allliés), du drame psycho (Flight) ou encore de la comédie burlesque (La mort vous va si bien).
Mélangeant tous les genres, inclassable, Zemeckis a parfois été génial, inspiré, audacieux. Mais il a aussi essuyé de gros échecs et quelques ratages. Son nouveau film, Here, avec son duo de Forrest Gump, Tom Hanks et Robin Wright, sort sur les écrans ce 6 novembre.
Or, on peut constater que ce n’est plus un événement. Le nouveau Zemeckis sort dans l’indifférence. Pourtant, le cinéaste essaie une fois de plus d’être avant tout un innovateur dans les technologies. Car, s’il aime les antihéros ou les héros du quotidien (contre leur gré souvent), il est avant tout un passionné de nouveaux outils qui ont beaucoup contribué par la suite à l’évolution d’un cinéma de plus en plus technique.
Voici huit exemples de ce que le cinéma doit à ce « Doc » d’Hollywood.
Retour vers le futur (1985)
Le voyage dans le temps au service d’une SF ludique et une voiture mythique, la DeLoreane, qui vrombira dans le passé comme dans le futur. ILM, la société d’effets spéciaux de George Lucas, est déjà à la manœuvre. Pourtant, le film, énorme hit de la décennie malgré toutes les incohérences scientifiques, est extrêmement vintage. La voiture a réellement existé (même si elle a un aspect futuriste idéal pour les années 1950).
L’invention vient plutôt des ingrédients utilisés dans le film : une énergie à base de Coca Cola (et de déchets par la suite) ; on peut aussi voir dans le deuxième opus du film une publicité en 3D pour promouvoir un énième Dent de la mer, technique désormais courante et bien maîtrisée dans les grandes métropoles.
Au final, les équipes d’ILM, déjà très sollicitées, n’ont travaillé que sur 32 plans sur le premier film de la trilogie. Et, après un tournage compliqué et une date de sortie avancée, elles n’ont eu que deux mois pour faire le travail. Ceci explique d’ailleurs la médiocrité de certains effets. Mais pour d’autres, comme cette photo où les personnages disparaissent, il a fallu faire preuve d’ingéniosité pour que cela paraisse le plus réaliste possible. Et parfois dépasser ses limites comme cette foudre qui frappe l’horloge, qui reste le plus grand éclair de l’histoire du cinéma (avec celui de la Guerre des mondes de Steven Spielberg).
Qui veut la peau de Roger Rabbit? (1988)
Le cartoon et le live-action dans un mix déjanté. Un polar à la L.A. Confidential, au pays des Looney Tunes et de Disney. Zemeckis frappe fort et enthousiaste critique et public avec ce scénario mélangeant deux genres, le classicisme hollywoodien des films noirs et l’univers farceur des héros de courts animés. L’exploit est d’avoir réuni les stars de Disney et celles de la Warner, mais aussi ceux de l’écurie Tex Avery ou la légendaire Betty Boop. Mickey Mouse et Bugs Bunny, les deux canards, Daffy et Donald, tous unis contre un vilain qui veut les détruire au nom du progrès. À date, c’est l’unique fois où tout ce beau cirque est à l’écran ensemble.
Mais ce qui a marqué les esprits est évidemment ce mélange de prises de vues réelles et d’animation pendant tout un long métrage. Il y a déjà eu quelques exemples, à commencer par des séquences de Mary Poppins. Mais cette fois, Zemeckis ambitionne le projet dans sa globalité, avec une fluidité qui reste, encore aujourd’hui, impressionnante.
Ce n’était pas gagné : lors des screen-tests, les ados ont détesté le film, qui fut le plus coûteux de la décennie (l’équivalent de 190M$ aujourd’hui). Vu le succès (2e au box office mondial), Zemeckis a bien fait de garder le « Final cut » et de casser les codes du genre : il a ainsi déplacé la caméra autant que possible pour que les Toons ne ressemblent pas à des éléments collés sur des arrière-plans platsil a aussi utilisé l’éclairage et les ombres de manière extrême, contrairement aux habitudes pour ce type de films, et il a fait interagir les Toons avec des objets et des personnes du monde réel le plus souvent possible pour ne pas les figer et qu’ils apparaissent comme des personnages réels.
Ainsi, chaque image du film comportant un mélange d’animation et de prises de vues réelles devait être imprimée comme une photographie. Un animateur dessinait ensuite l’illustration spécifique pour cette image sur du papier calque posé sur la photo. Le dessin en contours devait ensuite être colorié à la main. Une fois cela terminé, le dessin devait être recomposé dans l’image originale à l’aide d’une imprimante optique.
Pour certaines scènes, certains accessoires étaient déplacés sur le plateau grâce à des machines de contrôle de mouvement reliées à un opérateur, qui faisait bouger les objets de manière précisément voulue. En post-production, le personnage était simplement dessiné par-dessus la machine. Une autre méthode consistait à utiliser des marionnettistes. Les fils et les bâtons étaient simplement retirés en post-production, et les personnages ajoutés.
Au total, 326 animateurs ont travaillé à plein temps sur le film pour dessiner plus 82 000 images d’animation. Quant aux acteurs, ils devaient composer avec des amis imaginaires et les fameux fonds vert, outil imaginé dans les années 1940 pour faciliter l’incrustation. Ne se facilitant pas la vie, Zemeckis a même refusé d’utiliser la technique de peinture sur cache ou sur verre pour les décors.
Finalement, 14 mois de post-prod furent nécessaires à ILM. Les ordinateurs n’étaient pas assez puissants pour réaliser un film aussi complexe, où toute l’animation a été faite avec des celluloïds et de la composition optique. Certains plans furent même de véritables défis qui ont fait avancer à pas de géant les techniques de l’époque. Logiquement, le film récolte un Oscar des meilleurs effets visuels.
La mort vous va si bien (1992)
Une farce sur la chirurgie esthétique et l’obsession du rajeunissement qui utilise une étrange substance pour rester dans le coup? Ce n’est pas The Substance mais une screwball comedy un brin cruelle, entre Sunset Boulevard et Qu’est-il arrivé à Baby Jane?. Et ce fut surtout un laboratoire pour Jurassic Park, qui sortira l’année suivante. Les deux films ont en commun la même directeur de la photographie et le même chef décorateur.
Et toujours ILM pour expérimenter les délires de Zemeckis. Premier film à utiliser une texture de peau générée par ordinateur. Quand Madeline remet en place son cou après que Helen lui ait écrasé la tête avec une pelle, il a fallu une combinaison de plusieurs techniques, notamment un modèle animatronique développé par Amalgamated Dynamics, en plus d’un maquillage prothétique appliqué sur Meryl Streep pour obtenir l’apparence d’un cou tordu.
L’actrice a détesté l’expérience : « Vous vous tenez là comme une pièce de machinerie — ils devraient utiliser des machines pour ça. J’ai adoré le résultat final. Mais ce n’est pas amusant de jouer face à un lampadaire. » Pour certains plans, elle a du porter une cagoule bleue. Pour une autre une marionnette animatronique a été utilisée mais finalement remplacée par un efft numérique généré par ordinateur. L’équipe a aussi dû modifier numériquement une image pour donner l’impression que le manche de la pelle traversait réellement la poitrine d’Helen.
Un Oscar des effets spéciaux a pansé toutes les frustrations des comédiennes.
Forrest Gump (1994)
Les progrès techniques s’accélèrent grâce à des machines plus puissantes. Bientôt Pixar va sortir son premier long métrage, Toy Story, qui va révolutionner l’animation.
En attendant, Robert Zemeckis va être sacré avec l’histoire d’un homme un peu simplet qui traverse l’histoire contemporaine américaine. Forrest Gump, multi-oscarisé, reste son plus gros succès à date, se classant toujours parmi les 30 films les plus vus aux Etats-Unis.
ILM a innové dans le morphing, la rotoscopie et a réussi à transposer Tom Hanks dans des images d’archives. On le voir serrer des mains de personnages décédés. Quand il reçoit la médaille d’Honneur du président Johnson, c’est en fait Tom Hanks qui est superposé sur le corps du véritable récipiendaire de la scène, Sammy Davis Jr. Un simple écran bleu et quelques marqueurs. Idem pour les scènes de ping pong : l’acteur ne frappe aucune balle. Ce sont des créations numériques. Les effets spéciaux ont aussi été utilisés pour que le mouvement des lèvres de ces personnalités s’accordent avec des dialogues écrits pour le film.
Ça n’a l’air de rien mais de nombreuses scènes ont permis de faire progresser l’insertion du numérique dans les prises de vues réelles. Dans la séquence de la guerre au Vietnam, tout a été décomposé : les cascadeurs et les acteurs ont fait leur boulot mais ils ont été ajoutés numériquement à un ensemble de vrais décors, dans lesquels se mélangeaient des objets, des personnages et une explosion de napalm tous créés en CGI. De même, la foule au Lincoln Memorial est entièrement factice. Seuls 1500 figurants ont été employés avant d’être multipliés jusqu’à créer des centaines de milliers de personnes. Ajoutons la suppression numérique des jambes de Gary Sinise, vétéran amputé dans le film, a été réalisée en entourant ses jambes d’un tissu bleu, facilitant ainsi le travail de l’équipe de « roto-paint » pour effacer ses membres de chaque image.
Enfin, la plume dans le film n’était pas si numérique. Une vraie plume a été filmée devant un écran bleu, puis ses images ont été numérisées et découpées en segments pour que l’ordinateur puisse les relier. Cela permettait de contrôler ses mouvements. Une vraie plume a été utilisée, mais son animation dans le film était gérée par ordinateur.
Tout cela paraît banal aujourd’hui. Mais il y a trente ans, ce genre de scènes étaient soient maladroitement réalistes, visiblement truquées ou très coûteuses à réaliser. D’ailleurs, avec un budget réduit par le studio, Zemeckis a fait l’impasse sur certaines séquences nécessitant des effets visuels trop dispendieux…
Et pour la troisième fois, un film de Zemeckis empoche l’Oscar des meilleurs effets visuels.
Contact (1997)
Retour à la Science-fiction. Cette fois dans une autre dimension. Pour cette histoire où dialogue science et foi, Zemeckis a deux séquences en tête : l’introduction et le voyage saptio-temporel dans une sorte de vortex hallucinatoire.
La séquence d’ouverture est la plus longue séquence en CGI de l’époque dans un film en prises de vues réelles. 3 minutes et des poussières (d’étoiles). La caméra par de la Terre, et effectue un long zoom arrière (comme dans The Power of Ten et Il était une fois l’espace) vers Mars, Jupiter, Saturne, le système solaire, la Voie lactée, les galaxies, l’univers pour se confondre finalement dans l’iris d’une jeune fille, Ellie. Ce même œil va faire l’objet d’un autre effet visuel : lorsque l’iris de la jeune Ellie va fusionner avec celui d’Ellie plus âgée, incarnée par Jodie Foster.
Vu la complexité des exigences de Zemeckis pour adapter le best-seller de Carl Sagan, il a fallu huit sociétés spécialisées, autant dire la crème de la crème, parmi lesquelles Sony Pictures Imageworks, ILM, Warner Digital, RenderMan de Pixar, et Weta Digital, responsable de la longue séquence du vortex.
Le réalisateur a également utilisé toutes les techniques déjà maîtrisées (l’incrustation de Bill Clinton par exemple). Il a corrigé numériquement les couleurs du ciel et les tonalités du paysage au Nouveau-Mexique pour donner l’impression d’une continuité (alors que le climat était très changeant d’un jour à l’autre sur le tournage).
Mais les prouesses sont ailleurs. Comme cette scène où Ellie court chercher le médicament de son père. La caméra suit la fillette dans la salle de bain, mais l’effet révèle que nous voyons en fait son reflet dans le miroir de l’armoire. Il a fallu allier trois prises différentes avant de les manipuler numériquement en CGI. Depuis, de Nolan à Fincher, tout le monde a repris ce concept.
Pour Jodie Foster, à l’instar de Meryl Streep, ce fut surtout une nouvelle manière d’appréhender son métier : « C’était une salle bleue, des murs bleus, un plafond bleu. C’était bleu, bleu, bleu. » Elle n’a jamais caché sa difficulté à jouer de la sorte.
Quant au final, l’arrivée dans un « autre monde » extra terrestre, les effets numériques, tous très innovants, sont parvenus à créer un univers onirique (des ombres en mouvement incohérent, des vagues à reculons, une lumière aveuglante sans soleil).
Le Pôle express (2004)
C’est le premier film entièrement réalisé en motion capture. Zemeckis réutilisera cette technique avec ses deux films suivants, La légende de Beowulf (2007) et Le drôle de Noël de Scrooge (2009).
Deux critères ont conduit le réalisateur a choisir cette technologie. D’une part, un film en prises de vies réelles auraient nécessité un budget astronomique. D’autre part, il était persuadé que l’esthétique d’un tel film serait éloigné du style artistique du livre. Une version animée ne lui convenait pas plus.
Le motion picture s’impose alors. Les acteurs sont filmés avec un équipement de capture de mouvement en 3D, dans une scène noire, pour enregistrer numériquement les performances physiques des acteurs avant de les transformer avec leurs formes animées. Les rôles des enfants ont été joués par des adultes, qui utilisaient des accessoires surdimensionnés pour reproduire les mouvements correctement.
Cela coûtait un million de dollars par minute et prendrait presque un an de production. Le défi était considérable. Le succès en salles a quand même permis de rentabiliser le projet, qui, en bonus, est entré dans le Guinness Book of World Records en 2006.
Pour pimenter le tout, ce fut aussi le premier long métrage à être sorti à la fois en 35 mm et en IMAX 3D. Et si pour ce film, environ 70 caméras ont été utilisées, Zemeckis en fera tourner près de 300 pour Beowulf.
Pinocchio (2022)
Après plusieurs films « classiques », exploitant modérément les progrès technologiques, Robert Zemeckis s’engouffre dans une des multiples versions récentes de Pinocchio (Benigni en 2002, Garrone en 2029, Del Toro en 2022). Le résultat est un cocktail indigeste de motion capture, prises de vues réelles et de cartoon 3D. Ce fut même le premier remake de Disney à recevoir une nomination aux Razzie Awards dans la catégorie « Pire film ». Considéré comme le moins bon Zemeckis (et le seul à ne pas être sorti en salles), cette adaptation a beau être ambitieuse techniquement, elle prouve, une fois de plus que sont les coordonniers qui sont les plus mal chaussés…
Here (2024)
L’intelligence artificielle générative arrive. Zemeckis retrouve son duo de Forrest Gump – Tom Hanks et Robin Wright – plongé dans un plan fixe unique (et truqué) qui fai t écho à l’expérimentation d’Alfred Hitchcock avec La Corde (faux plan séquence dans un unique huis-clos).
Le film utilise une nouvelle technologie d’intelligence artificielle générative appelée Metaphysic Live qui permet d’échanger les visages et de rajeunir les acteurs en temps réel pendant qu’ils jouent. pas besoin de traitement en post-production, qui aurait pris au minimum six mois. Ironiquement, cette technologie est au cœur du pitch du prochain Wallace & Gromit.
Révolutionnaire, ça l’est. Metaphysic a pris 8 millions d’images des acteurs sur le web, pour recréer des visages correspondant à toute une vie. Des photos des acteurs à toutes les époques, des photos de films, des photos de famille … À l’IA s’ajoute le défi de tourner avec une caméra statique, placée la plupart du temps dans le coin du salon, nécessitant une préparation précise en amont.
Pour les acteurs, c’était tout aussi novateur. « Nous pouvions voir le résultat sur-le-champ. Il restait un peu de peaufinage à effectuer, mais c’était assez saisissant. Nous pouvions nous revoir nous-mêmes à 17 ans, à 22 ans… C’était très impressionnant » a récemment expliqué Tom Hanks. L’acteur précise : » Ce parti pris technique permet d’observer l’effet du temps sur ces personnages. L’espace reste inchangé à l’écran : le temps est le seul élément véritablement en mouvement.«
Robert Zemeckis, apprenti sorcier et explorateur geek du cinéma, qui a aimé s’aventurer dans les confins de l’espace et dans le futur, dans des univers imaginaires et dans des récits traditionnels a averti lors de la sortie de Here : « Il y a beaucoup de choses que l’IA pourra faire et qu’on ne conçoit pas encore. Ce que j’ai appris en faisant un certain film traitant du futur, c’est qu’on sous-estime toujours le futur lorsqu’on essaie de le prédire. »