Conclave : thriller électoral papal et satire politique

Conclave : thriller électoral papal et satire politique

Quand le pape décède de façon inattendue et mystérieuse, le cardinal Lawrence se retrouve en charge d’organiser la sélection de son successeur. Alors que les machinations politiques au sein du Vatican s’intensifient, il se rend compte que le défunt leur avait caché un secret qu’il doit découvrir avant qu’un nouveau Pape ne soit choisi. Ce qui va se passer derrière ces murs changera la face du monde.

Habemus Papam! Enfin, presque. Car, dans le film Conclave, il faudra quelques jours trépidents pour que les cardinaux fasse leur choix et que la fumée blanche s’échappe de la petite cheminée du Vatican.

D’Edward Berger, on connait essentiellement le film À l’Ouest rien de nouveau, Oscar du meilleur film international et nommé à l’Oscar du meilleur film, diffusé depuis deux ans sur Netflix. Le spectateur est davantage familier avec l’univers de Robert Harris. Conclave est l’adaptation d’un de ses romans, paru en 2016. Avec The Ghost Writer et J’accuse, Roman Polanski avait déjà mis en image ses fictions enlevées et cruelles. D’autres livres comme Enigma (par Michael Apted) et L’étau de Munich (par Christian Schwochow, autre film Netflix) ont montré qu’il savait mêler des faits historiques tout en les malmenant avec un suspense haut de gamme.

Conclave est dans la même veine. Avec bien plus de brio. Honnêtement, il se rapproche de l’excellent The Ghost Writer. Sans doute parce que le lien entre les deux est évident : un huis-clos étouffant et malaisant.

Election en soupape

Le pape est mort. Vive le pape? Pas si simple. Les règles vaticanes sont séculaires et strictes, le résultat parfois imprévisible. Depuis un siècle, l’élection d’un pape prend entre deux et cinq jours, nécessitant de trois à quatorze tours. De quoi faire durer le plaisir sadique d’un vote à bulletins secrets où les arrières-pensées, les coups tordus, les manipulations et autres influentes pressions peuvent se déployer à l’écart du monde, dans la chapelle Sixtine.

Edward Berger prend un malin plaisir à retourner les situations pour tendre le récit. Mais il est tout aussi précis pour filmer le moindre détails de la procédure de cette élection. Dès lors qu’on scelle la porte de la chambre du pape éteint et jusqu’à l’acclamation du nouveau pape sur son balcon par le peuple, on suit tous les détails de ce déroulé millimétré, régit par des codes anciens et des coutumes anachroniques.

Ce principe de l’enfermement, où quelques éclats du monde extérieur parasite parfois le processus, contribue grandement à l’immersion du spectateur dans ce qui devient, au fur et à mesure des imprévus, un thriller politique.

Car le poste est évidemment politique, et « Seul un fou peut le vouloir » (et ça on l’avait bien compris avec le film de Nanni Moretti et un Michel Piccoli qui voulait s’évader de la prison dorée du Vatican). Ici, plusieurs programmes s’affrontent : progressiste (mariage pour tous, femmes évêques, …), traditionnel (retour à la messe en latin, guerre contre l’Islam), conservateur (on ne change rien), populaire (en misant sur la discrimination positive avec un pape africain), ou social (aides aux plus pauvres et aux victimes), etc. Une vraie campagne électorale.

Chaque camp est incarné par un cardinal (respectivement les impeccables Stanley Tucci, Sergio Castellitto, John Lithgow, Lucian Msamati, Carlos Diehz). Le scénario ne manque pas de les rendre imparfaits (humains?), avec leurs secrets, leurs mensonges ou leurs sales pensées qui ne demandent qu’à être révélés. Faible, xénophobe, corrompu, infidèle, opportuniste… Tout est manichéen, seul gros défaut du scénario. Mais chacun en prend pour son grade, moqué par une caméra qui met en lumière leurs failles et leurs fatuité. Un cardinal est un pécheur comme les autres, qui dévoile son jeu comme un joueur de poker. En espérant remporter la mise sans avoir à montrer ses cartes. En résumé, « les plus dangereux sont ceux qui veulent être pape. »

Travail de sape

Au milieu de toute cette bande masculine, on trouve aussi quelques nonnes serviables, qui n’ont pas leur mot à dire. « Mieux vaut éviter de parler des femmes ». Le film pointe l’un des aspects les plus rétrogrades de l’Église. À travers le personnage de Sœur Agnès, soit Isabella Rossellini dans un rôle aussi bref que charismatique, le réalisateur permet à une femme de l’ouvrir et même d’orienter le vote. Le silence est parfois d’or, quelques paroles suffisent aussi à renverser des opinions, et un sourire peut dévoiler une furtive satisfaction d’être enfin considérée.

Mais Conclave ne serait rien sans son doyen, aka le cardinal Thomas Lawrence. Car dans ce panier de crabes pourpres, où les rivalités d’égos démesurés se mélangent à la trivialité d’hommes bien ordinaires, un électeur est chargé de gérer le chaos ambiant. Interprété par un vieillissant mais toujours aussi séduisant Ralph Fiennes, le personnage tout en ambivalence et retenue, porte littéralement tout le film et tout le poids de sa fonction. En pleine crise de foi, habité par le doute, enquêtant sur chacun malgré lui, il est un fou errant à l’instar de Saint François d’Assise. Il ne parle pas aux oiseaux mais prends soin des tortues. Martyr sans le vouloir, il est aussi captif des jeux de pouvoir que nous sommes captivés par sa résilience face aux soubresauts d’un conclave malmené par les siens.

Ainsi, il a l’assurance de ceux qui savent rester à leur place, en ne s’affranchissant pas ouvertement des règles. Il a aussi l’audace de ceux qui cherchent à sauver un héritage fragile et un système mis en péril. Il a enfin la liberté de ceux qui cheminent hors des sentiers battus par le bal des ambitions – « la lèpre de sa Sainteté » – , les croyances et les vanités.

Lui ne finira pas au bûcher. Même épuisé, même attaqué, il reste digne. Rouage essentiel et crucial de cette élection bancale, le cardinal Lawrence se fond dans le jeu sublimé par son éminence Ralph Fiennes. L’acteur a trouvé la clé pour allier la rigidité de la fonction et la fluidité des incertitudes de l’homme. Après tout, la certitude est le pire des péchés et le doute est, ici, érigé en vertu.

Chausse-trappes qui dérapent

Les votes se suivent et ne se ressemblent pas. Les favoris sont un à un victimes d’une cabale dont ils sont les propres auteurs. La situation est tour à tour bloquée, imprévisible, effarante. Tout le monde peut croire son tour venu (l’épilogue fera surgir un candidat de consensus inattendu). Edward Berger les réduit à de misérables mortels assoiffés de pouvoir et de gloire, mus par des actes retors et des vérités illusoires. Prêts au compromis le moins pire pour éviter un brusque retour en arrière, ou à foutre le boxon pour réformer brutalement une curie incurable de ses vices.

Il faut que la colère de Dieu s’abatte sur eux (et aère cette Sixtine suffocante) pour que la religion revienne à la raison, pour que ces gens fassent de nouveau lien entre eux. Ce n’est pas la moindre des qualités du cinéaste que de nous passionner pour leurs affaires. Le montage est tendu, les scènes relativement courtes, les angles de caméra variés. La grammaire cinématographique est parfaite. Les interprètes rejettent toute outrance et surjeu. Même les décors, reconstitutions factices et presque modernistes du Vatican, servent le film en le plaçant dans une forme d’allégorie brutalitste et minimaliste.

Mais si le film ne rate pas sa cible, c’est bien par son ultime « twist ». Un assassinat en règle de ce carnaval médiéval. En surface, Conclave a tout d’un film dont la gravité des faits et des enjeux pourraient laisser l’impression d’un thriller verbal, sérieux, dramatique. C’est-à-dire un film à suspense sans ensanglanté, ni course poursuite. Juste quelques enquêtes policées plus que policières, cherchant à découvrir quelques immoralités et autres crimes de lèse-Papauté.

Mais, en grattant un peu, le drame découvre une autre facette. Tel un artisan, tout occupé à nettoyer une pierre salie par le temps, divulgue minutieusement un message volontairement dissimuler. Le nouveau pape Innocent porte-t-il bien son nom? Ultime pied de nez, le film la provoque (et choquera peut-être certains) par une révélation aussi jouissive que bienvenue. Conclave se dévoile alors dans toute sa splendeur : celle d’une satire acerbe sur une Église un peu trop hors de son temps et bien trop focalisée sur son pouvoir masculiniste.

Conclave.
2024
Durée : 2h
Sortie en salles : 4 décembre 2024
Distribution : SND
Avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rossellini, Lucian Msamati, Carlos Diehz et Sergio Castellitto
Réalisation : Edward Berger
Scénario : Peter Straughan, d'après le roman Conclave de Robert Harris
Musique Volker Bertelmann
Image : Stéphane Fontaine