
Cette année, le Festival International des Cinémas d’Asie de Vesoul programme un Regard sur le cinéma de Hong Kong. Au programme, des films des années 1970 comme Big Boss de Lo Wei (avec Bruce Lee) etdes films contemporains, à l’image de Tout ira bien de Ray Yeung sorti en début d’année. Soit un large panorama qui mêle des films d’action (signés Johnnie To, John Woo, Tsui Hark…) qui ont ensuite influencé le cinéma mondial et des films d’auteurs réputés (signés Ann Hui, Wong Kar-wai, Stanley Kwan…), parmi lesquels quelques inédits.

Frédéric Ambroisine, grand passionné du cinéma de Hong Kong, a réalisé de nombreux documentaires pour des bonus dvd et bluray. Il accompagne plusieurs projections de cette rétrospective (en plus d’être membre du jury de la critique). L’occasion de le faire témoigner à propos de la découverte parfois confidentielle des films de Hong Kong jusqu’à leur célébration la plus large.
Ecran Noir : Comment es-tu devenu réalisateur de bonus pour dvd de films asiatiques et en particulier comment est née ta passion pour le cinéma de Hong Kong ?
Frédéric Ambroisine : Je suis un critique de cinéma qui est devenu au fil des années réalisateur de bonus dvd, ce qui n’était pas un vrai métier avant. Dès que j’allais à Hong Kong, je faisais des interviews de toutes les personnes que je croisais, ce qui fait qu’aujourd’hui j’ai des centaines d’interviews en archive. C’est ainsi que j’ai été amené à faire des bonus, en particulier pour des nouvelles éditions des films restaurés du studio Shaw Brothers ou de certains films de Johnnie To.
Cette année, j’ai la chance d’être membre du jury de la critique au FICA de Vesoul, et dans le cadre de leur ‘Regard sur le cinéma de Hong Kong’ de présenter aussi certains films. Par exemple le film Moon Warriors de Sammo Hung, que j’avais déjà interviewé pour la sortie dvd, à l’époque dans la collection Asian Star chez Pathé. Sammo Hung a fait de meilleurs films, mais ici on y retrouve Andy Lau, Anita Mui et Maggie Cheung, et pour l’anecdote c’était un tournage compliqué car la star masculine et la star féminine n’étaient jamais là au même moment.

Quand on en voit un de face, l’autre de dos est souvent une doublure et inversement. Je vais présenter aussi Judo qui est un de mes films favoris de Johnnie To, que j’ai aussi interviewé à plusieurs reprises dans divers festivals comme celui de Cannes, de Sitges, ou encore à Udine en 2018, qui a justement favorisé la restauration de Judo.
La sélection hongkongaise de Vesoul est assez représentative des cinéastes à voir, comme Anne Hui qui est une des plus grande réalisatrice de Hong Kong. Son film Love in a fallen city est un classique adapté d’un roman de Eileen Chang, qui est d’ailleurs une des plus grande autrice de la littérature chinoise des années 40 et 50 (ndr : d’autres de ses romans ont été adpatés en film par Stanley Kwan et par Ang Lee). Dans ce film, on remarque l’acteur Chow Yun-fat, qui n’était pas encore une immense star.
EN : Il y a plein de films de Hong Kong des années 70 et 80 qui, à l’époque, étaient catégorisés souvent comme ‘films de karaté’ ou ‘films pour cinéma de quartier’ avec un petit public de fans. Depuis, ces films ont été plus démocratisés avec une plus large diffusion, mais ça a pris du temps. Pourquoi cette longue période pour une plus juste considération de ces films ?
Frédéric Ambroisine : Il y a déjà une certaine différence de culture. Quand les films avec Bruce Lee sont arrivés en France, on partait de loin, avec une totale méconnaissance du cinéma de Hong-Kong. Le film du studio de Shaw Brothers Les griffes de jade en 1971 n’a été que le 3e film de Hong Kong à sortir en France. Certains de ces films étaient doublés en français, et mal doublés avec une imitation d’accent chinois limite raciste et des traduction horribles, mais le public commençait à répondre présent. Un petit cinéma de quartier pouvait proposer un double programme avec à la fois un film érotique et un ‘film de karaté’. Rappelons d’ailleurs qu’un film de kung-fu ou un film de sabre, ce n’est pas pareil. Dans le film Big boss qui a contribué à révéler Bruce Lee, il n’y a pas de karaté, c’est du kung-fu ! Il a fallu un certain temps pour que les gens fasse la différence entre les arts martiaux.
Quand Christophe Gans, avant de devenir un grand réalisateur, a commencé à distribué des films via son label Scherzo puis via HK Vidéo, les choses se sont précisées. Dans le magazine HK Vidéo, le contexte historique est évoqué, les films de sabre, c’est des films wuxia. Il y avait des articles de fond pour mieux faire connaître ces films. Ensuite certains distributeurs sérieux comme Wild Side ou Pathé, Arrow ou Spectrum ont pris soin des films. Quand Wild Side a acheté le catalogue des films Shaw Brothers, ils ont voulu sortir des dvd de ces films avec du contenu comme des livrets et des interviews, ce sur quoi j’ai travaillé pour eux et pour d’autres. En parallèle des films de Hong-Kong sortent aussi dans les salles de cinéma avec certains gros succès : Shaolin Soccer de Stephen Chow ça fait plus de 600 000 entrées en France, c’est considérable.
EN : Comment expliques-tu que certains vétérans des années 70 soient encore et toujours actifs dans des grosses productions à Hong Kong comme aux Etats-Unis ?
Frédéric Ambroisine : Il y a plusieurs cas de figures. Déjà, Jackie Chan a un peu galéré pour percer à Hollywood durant les années 80. Il a fallu attendre 1998 et le succès international du film américain Rush Hour pour que Jackie Chan devienne enfin une star mondiale. Même si on savait déjà que Jackie Chan était l’un des plus grand acteurs, cascadeurs, producteurs de films d’action. Sammo Hung est aussi passé par un tournage américain pour une plus grande notoriété, avec la série Le Flic de Shanghaï. John Woo, c’est un cas à part, il a réalisé à Hollywood des gros films qui ont été d’immenses succès comme Volte face, Broken arrow, et bien évidemment Mission impossible 2 avec et pour Tom Cruise, et Windtalkers qui est peut-être son plus grand film américain mais qui malheureusement n’a pas marché. John Woo est retourné en Chine pour son gros projet de film Les Trois Royaumes en deux parties avec un énorme succès là-bas, tout en continuant de travailler aussi aux Etats-Unis. Son film américain plus récent Silent night avec un héros qui perd la voix et qui n’a plus les mêmes capacités qu’avant est une sorte de symbolique de la carrière actuelle de John Woo à Hollywood. Tsui Hark est un réalisateur qui travaille sur d’énormes productions en Chine, comme la trilogie Détective Dee et La bataille de la Montagne du Tigre avec une mise en scène monstrueuse. Et il continue : bientôt va arriver son nouveau gros film épique Legend of the Condor Heroes avec l’acteur star hongkongaise, Tony Leung Ka-Fai.
EN : Les films d’action cultes venus de Hong Kong n’ont plus vraiment d’équivalent aujourd’hui. L’influence de Hong Kong se fait désormais davantage avec des films d’auteur…
Frédéric Ambroisine : Tsui Hark fait aujourd’hui des films d’héroïsme surtout pour la Chine. Les films cultes de Hong Kong sont évidement ceux ayant été réalisés avant 1997 et la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Quand on parle de films d’action de Hong Kong, c’est surtout L’enfer des armes, la trilogie Le syndicat du crime, The Killer, Une balle dans la tête… Aujourd’hui, des films de ce niveaux il n’y en a plus, et d’un autre côté le cinéma de Corée du Sud a peu à peu pris la relève du cinéma d’action commercial asiatique. Beaucoup de films de gangsters coréens reprennent à leur compte les éléments développés par les films hongkongais. Il reste encore le réalisateur Soi Cheang qui avait été sélectionné en Séance de minuit au festival de Cannes avec son film City of Darkness, et avec les acteurs hongkongais Louis Koo et Sammo Hung : un large succès a été au rendez-vous, et une trilogie est prévue avec une préquelle et une suite.
Aujourd’hui, l’industrie du cinéma de Hong Kong fait face aussi à un recul de son activité dans le sens où il y a moins de salles de cinéma. Il y a beaucoup moins de films qui sortent chaque année, et peu sortiront au-delà des frontières. Les récents grands films de Hong Kong, ce sont effectivement des films d’auteurs, comme ceux de Ray Yeung avec Un printemps à Hong Kong et Tout ira bien. La prochaine cérémonie des Hong Kong Film Awards vient d’annoncer ses nominations, et en fait City of Darkness de Soi Cheang a 14 nominations, et Tout ira bien de Ray Yeung a 5 nominations, tout deux nommés en meilleur film et en meilleur réalisateur, et l’actrice de Tout ira bien Patra Au, présente au festival de Vesoul est aussi nommée comme meilleure actrice !