Mickey Barnes se tue à la tâche… littéralement ! Car c’est ce qu’exige de lui son entreprise : mourir régulièrement pour gagner sa vie. Alors qu’il doit fuir la terre pour éviter d’être découpé à la tronçonneuse, il se porte volontaire pour être « Remplaçable » sur une expédition de colonisation extra-terrestre dirigée par un politicien, Kenneth Marshall. Utilisé comme cobaye, il meurt à chaque expérience (sortie dans l’espace, virus dans l’air, etc.) pour être « réimprimé » quasiment à l’identique le jour suivant. Mais le 17e Mickey, laissé pour mort dans une grotte au milieu de créatures monstrueuses, survit miraculeusement. Quand il rentre sur le vaisseau, il fait face à un multiple, Mickey 18. La loi exige, dans ce cas, de tuer les deux clones.
Six ans après Parasite – Palme d’or, Oscar du meilleur film, 260M$ de recettes mondiales – , Bong Joon-ho s’envole pour un voyage interstellaire et nous envoie en l’air. Alors, oui, d’emblée, Mickey 17 n’a pas la profondeur ni la malice de son précédent opus. Ce film de pure science-fiction s’inscrit davantage dans la lignée de Snowpiercer et Okja. Du premier, il a hérité ce huis-clos claustrophobique où la hiérarchie entre élite et soutiers produit injustices et abus de pouvoir dans un environnement extérieur hostile et enneigé. Du second, il a emprunté les manipulations génétiques, le rapport à l’environnement et le lien avec les « monstres ». Sachant que les monstres ne sont jamais ceux que l’on désigne ainsi…
En cela, Bong Joon-ho dessine une œuvre a priori composite mais finalement très cohérente. La corruption, la violence humaine, l’esprit de domination (et celui de l’exploitation, forcément lié) traversent tous des films, y compris ce délire SF exitentialiste. Blockbuster popcorn à sa manière, Mickey 17 n’a peut-être pas l’originalité souhaitée, mais il ne manque pas de créativité. Ni de qualités artistiques : que ce soit l’image, les effets visuels, la musique, et surtout l’habile usage du hors-champs qui contrebalance un montage moins subtil (mais efficace).
Make Enslavement Great Again
Si le récit est assez classique dans le genre, c’est bien la forme qui permet au film de prendre un peu de relief. L’horreur est contenue mais elle est palpable. Le sous-texte politique est plutôt primaire, parfois un peu grossier, mais il est, hélas, très actuel (avec un Mark Ruffalo sans limites en loser trumpiste, petits mouvements de bras inclus, et une Toni Colette atrocement immorale et cynique). L’action et les diverses situations périlleuses sont impeccablement maîtrisées, sans que ce soit trop sensationnaliste. Les romances sont grivoises et sans bla-bla inutile. L’humour s’invite à peu près partout dès qu’il faut rire de nos pitoyables et misérables comportements d’êtres vivants arrogants et sans éthique.

C’est à cela qu’on reconnaît un film du cinéaste sud-coréen. Ce cocktail de rires et de peurs, de compassion et de cruauté, de quête d’intégrité et de choix fatals. Mickey 17, sous ses allures de Seul sur Mars et de Stargate, est surtout une farce, proche du cartoon, où tout est exagéré à dessein. Une distraction totale au service d’un divertissement existentialiste et d’une satire politique. La rupture de tons est peut-être ce qui définit le mieux le cinéma de Bong Joon-ho. Et il n’y va pas avec précaution. La grosse artillerie est de sortie.
Dès qu’une situation commence à vriller vers un style bien formaté – une séquence de sexe, de torture, de crime, de discours ou d’amitié -, le cinéaste trouve toujours un « twist » salutaire pour changer la coloration voire l’enjeu de la scène. Parfois, on aimerait que le moment dure plus longtemps avant que la centrifugeuse ne redémarre. Mais, peu importe, cela évite au film de nombreux moments didactiques ou prévisibles. Et même s’il est parfois bancal, le scénario, hormis pour le final, s’autorise à prendre le contre-pieds de ce qui est souvent attendu. Ce qui procure un plaisir coupable indéniable.
The Expandables
D’autant que Bong Joon-ho se permet quelques audaces, comme ce plan cul à trois où Mickey 17 est caressé par son clone Mickey 18. Un vertige du rapport (bi)sexuel entre deux types identiques. Et là, force est de constater que Robert Pattinson, jamais avare en aventures métaphysiques au cinéma (Tenet n’est pas si loin), est parfait pour ce double rôle. Cet homme qui meurt tout le temps, et qui ne meurt finalement jamais puisqu’il est « réimprimé » à chaque décès, est une expérience existentialiste en soi.

Remplaçable, ce cobaye humain n’est qu’un numéro au profit des puissants. Pourtant, à chaque renaissance, il est un peu différent. Son caractère est légèrement modifié. Du numéro 1, effrayé à l’idée de crever, au numéro 16, attendant avec lassitude la fin inéluctable, il peut s’avérer doux, amer, naïf, … jusqu’à ce 17e Mickey un brin crétin, pas loin d’un Jim Carrey dans Dumb and Dumber. Un parfait esclave au service de tous : sa Nasha qu’il aime (Naomie Ackie, idoine pour le rôle de bad-ass girl), l’équipe scientifique qui le gère tant bien que mal, ou ce Marshall « omnipotus » sans scruspule. Le fait que le 17 survive, contre toute attente, et qu’il croise son successeur change tout. À la fois dans le vaisseau et dans sa tête.
C’est peut-être là que Mickey 17 faillit sur son propos. Autant, nous captons très bien la rivalité des deux Mickey, l’évolution psychologique du survivant, l’envie de vivre et d’aimer plutôt que de mourir (même par contrat). Autant, Bong Joon-ho ne parvient pas à traduire sa pensée et sa philosophie autour de la mort, hormis le fait qu’elle fait peur. Bien plus intéressé par les questions de déontologie autour du clonage et de l’utilisation du corps humain, il met de côté tout un pan du film en n’approfondissant pas la notion d’immortalité et la nécessité d’une existence ayant une finalité.
My Favorite Thing Is Monsters
C’est là qu’il faut saluer saluer le travail empathique de Pattinson, qui créé toutes les nuances indispensables pour accompagner son cheminement intérieur puis pour apprécier son choix de destinée. Il contribue grandement à rendre cette dinguerie jubilatoire, sans devenir un héros ou un sauveur, bien au contraire. Il fait office de médiateur, de diplomate, mu par son seul désir de vivre une existence heureuse avec une femme bien plus intelligente et courageuse que lui.

Pour en arriver là, Bong Joon-ho ne lésine pas dans le spectacle, dans l’outrance et dans le comique. Comme dans The Host, la satire est sociale et le genre fantastique, tout en se parant d’oripeaux grotesques et terrifiantes (de façon soft). À l’instar de Memories of Murder, il oscille entre suspense et dérision, poursuite et trahison.
C’est pour cela qu’il est devenu un cinéaste majeur. Non pas parce qu’il clone ses films, loin de là, mais bien parce qu’il offre d’infinies variations à ses obsessions et ses thèmes récurrents, sans jamais se compromettre. Il a un style qui lui est propre.
Mickey 17 est une farce cosmique où l’autorité et la violence se dissolvent et disparaissent sous la pression de la science, de l’amour, de la justice et de l’humanisme. C’est un petit pas pour l’humain mais un grand pas contre son instinct de prédation. Un film de résilience et de résistance en ces temps osbcurantistes. Mickey n’est pas qu’un numéro, il a un nom – Barnes – et il a gagné le droit de vivre … jusqu’à sa mort naturelle.
Mickey 17
Festival de Berlin 2025.
2h17
Sortie en salles : 5 mars 2025
Réalisation : Bong Joon-ho
Scénario : Bong Joon-ho, d'après le roman d'Edward Ashton
Musique : Jung Jae-il
Image : Darius Khondji
Avec Robert Pattinson, Mark Ruffalo, Naomi Ackie, Steven Yeun, Toni Collette,
Cameron Britton, Patsy Ferran, Anamaria Vartolomei, Anna Mouglalis (pour la voix de Mama Rampeur)
Distribution : Warner Bros.