Voila qu’arrive la 50e cérémonie des César du cinéma. Un 50e anniversaire pour les membres, anciens et nouveaux, de l’Académie des arts et techniques du cinéma qui, pour une fois, n’a pas été parasité par quelques polémiques. Cette année la mise-en-scène de la soirée est confiée à Cédric Klapisch, qui promet des surprises, et le rôle honorifique de Présidente de la cérémonie à Catherine Deneuve. 14 nominations (Huppert en a eu 15) depuis 1976 (sachant que sa carrière a débuté en 1959), deux trophées ramenés à la maison. Bertrand Bonello a convaincu la légende du 7e art français de rempiler une seconde fois à ce poste, elle qui ne vient plus depuis des années et qui déteste s’exposer sur une scène.
Dans la catégorie ‘Meilleure réalisation’, aucune femme. Pourtant, elles ne manquent pas comme le prix Alice-Guy l’illustre chaque année. Louise Courvoisier pour Vingt Dieux, Payal Kapadia pour All imagine as light, Mati Diop pour Dahomey : autant de possibilités, zéro probabilité.
Plus surprenant, les votants ont plébiscité dans toutes les catégories les mêmes films populaires et oublié la production indépendante et diversifiée du cinéma français. Au total, 13 films ont plus de deux nominations, 29 autres (dont les courts métrages) sont nommés une fois. 6 films s’octroient 62 nominations! Au départ il y avait 239 longs et 48 courts. À l’arrivée, il y a oligopole.
Catherine Deneuve avait arrêté d’assister à la cérémonie (même quand elle avait reçu des nominations en 2011, 2014, 2015, 2016) pour cette raison : « C’était le fond des choses, tout le système, c’était devenu pas assez sérieux, des gens qui votent sans avoir vu les films, ou juste au deuxième tour, ça fausse beaucoup les choses… ». Une critique des années Terzian mais pas que.
Oligopole éclectique
La cérémonie va donc récompenser les meilleurs films de l’année 2024, ou du moins les plus populaires : Le Comte de Monte-Cristo (14 nominations); L’Amour ouf (13 nominations); Emilia Perez (12 nominations); L’Histoire de Souleymane (8 nominations); Miséricorde (8 nominations); En fanfare (7 nominations)… De fait ces multiples et trop nombreuses nominations pour les mêmes films ont pour conséquence un manque de représentation artistique. L’enjeu est moins de compter le nombre de femmes réalisatrices en catégorie ‘Meilleure réalisation’ et ‘Meilleur film’ qu’une plus juste représentation des divers talents qui, à leur manière, ont apporté un certain accomplissement qu’on peut juger remarquable.
Peut-être faudrait-il ajouter des catégories comme dans d’autres cérémonies (Meilleur film au budget inférieur à 2 millions d’euros, meilleur espoir en réalisation et en scénario, meilleure comédie, meilleure coprod internationale, etc.) pour traduire la variété du cinéma hexagonal. Sans oublier de revoir quelques règles liées au financement, de plus en plus internationalisé. Ainsi The Substance, écrit et réalisé par une française, tourné en France, ne peut pas concourir en dehors de la catégorie meilleur film étranger. Alors qu’à l’inverse, Emilia Pérez, lui aussi français artistiquement, mais tourné en espagnol avec des acteurs étrangers, peut s’imposer dans toutes les catégories parce que son financement est majoritairement français. Et ne parlons pas du film indien, mais financé en grande partie en France, All we imagine as light, totalement snobé malgré son Grand prix du jury cannois (amplement mérité). Allez comprendre.
Toujours les mêmes…?

Autre faille. Cette année les nommées dans la catégorie ‘Meilleure actrice dans un second rôle’ sont issues des mêmes films ultra-nommés. Certaines ont moins de 10 minutes de présence dans le film – leur talent n’est pas en cause – mais, objectivement, il y avait d’autres choix plus pertinents. Les votants ont clairement été paresseux et toutes ces actrices en second-rôle dans d’autres films sont par conséquent invisibilisées.
Meilleure actrice dans un second rôle = la liste officielle
Élodie Bouchez dans L’Amour ouf
Anaïs Demoustier dans Le Comte de Monte-Cristo
Catherine Frot dans Miséricorde
Nina Meurisse dans L’Histoire de Souleymane
Sarah Suco dans En fanfareMeilleure actrice dans un second rôle = une liste plus méritante
Lubna Azabal dans Une vie rêvée (de Morgan Simon)
Élodie Bouchez dans En attendant la nuit (de Céline Rouzet)
Julia Faure dans Et plus si affinités (de Olivier Ducray et Wilfried Meance)
Natacha Krief dans Rabia (de Mareike Engelhardt)
Souheila Yacoub dans Les femmes au balcon (de Noémie Merlant)

Par ailleurs, le fonctionement du Comité Révélations, qui établit une liste de seize actrices et de seize acteurs, avant que émergent les 5 nominés pour le ‘César de Meilleure révélation féminine’ et le ‘César de Meilleure révélation masculine’, est aussi à revoir. Se retrouve donc en ‘Révélation’ l’acteur Pierre Lottin alors qu’il a déjà derrière lui plus de 25 films (dont des succès comme Les Tuche et plusieurs films de François Ozon) en 15 ans de carrière. Cette année, la jeune actrice Ghjuvanna Benedetti dans Le Royaume de Julien Colonna, film justement nommé en catégorie ‘Meilleur premier film’, a été complètement zappée. Un oubli injuste et discréditant. D’autant plus que la cérémonie des Lumières de la presse internationale (nos Golden Globes) organisée avant les César, l’a sacrée en ‘Révélation féminine’.
Un absent vous manque et tout est dépeuplé
Cette cérémonie des César est donc aussi une occasion de voir ou revoir d’autres films de cette année 2024 qui ont fait eux aussi la richesse et la diversité du cinéma français de l’année dernière. Bredouilles, évincés de la cérémonie. Que ce soit La bête de Bertrand Bonello, All we imagine as light de Payal Kapadia, Ma vie ma gueule de Sophie Fillières, Niki de Céline Sallette, Les pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse, Les Reines du Drame d’Alexis Langlois, Rosalie de Stéphanie Di Giusto, Trois amies d’Emmanuel Mouret, Vivre, mourir, renaître de Gaël Morel, ils ont tous été snobés. Mais ce ne sont pas les seuls.
Voici 12 autres films français oubliés par les César.
Le successeur, de Xavier Legrand (avec Marc-André Grondin)
Le premier film de Xavier Legrand Jusqu’à la garde avait été primé à d’un Lion d’argent Venise (aussi un prix Louis Delluc, un prix Lumières) avant de recevoir 5 nominations aux César 2019 (dont meilleur film, scénario, actrice). Ce second film est une adaptation d’un roman français, mais l’histoire a été tournée au Canada. C’est encore un sujet qui aborde la violence des hommes sur une femme, mais ici avec une perversité criminelle en sous-texte. La bande-annonce est assez subtile pour ne rien réveler, le personnage va peu à peu découvrir les agissements de son père décédé, et c’est filmé de façon à faire monter le suspense jusqu’à une forme d’horreur.
Nous, les Leroy, de Florent Bernard (avec Charlotte Gainsbourg, José Garcia) – 1er film
C’est le premier film de Florent Bernard. Son nom circulait dans le milieu de l’humour, où il a fait ses armes longtemps comme scénariste de blagues (pour plein de sketch sur internet, pour des séries comme La Flamme et Le Flambeau), avant de devenir scénariste pour le cinéma dans la comédie (Jack Mimoun et les secrets de Val Verde) et le fantastique (Vermines). L’intrigue est aussi simple que délicate : Charlotte Gainsbourg décide de divorcer et son mari Jose Garcia organise une sorte de voyage de la dernière chance pour la reconquérir. Sous ses airs de comédie, le film Nous, les Leroy raconte un drame à travers les souvenirs d’une famille prête à éclater. On n’avait pas vu depuis longtemps un film qui raconte aussi bien ce qu’est une famille, avec un subtil équilibre entre gags et mélancolie. Il faut remonter au Premier Jour du reste de ta vie de Rémi Bezançon. On n’avait pas vu non plus Charlotte Gainsbourg aussi fantaisiste et touchante depuis Prête-moi ta main d’Éric Lartigau. Avec son premier film comme scénariste et réalisateur, Florent Bernard a su toucher le public avec un bouche-à-oreille très positif : Nous, les Leroy ayant dépassé la barre des 550000 spectateurs en salles.
Première affaire, de Victoria Musiedlak (avec Noée Abita, Anders Danielsen Lie) – 1er film
Une toute jeune avocate dans un cabinet d’affaires est envoyée vers un autre domaine : assister un client en garde à vue suspecté d’un crime. Cela va chambouler sa vie et la suite de l’enquête. Le film est une multiplicité de premières fois pour l’héroïne : première fois à s’éloigner de ses parents, première fois à avoir une liaison amoureuse secrète, première fois où elle gagne en indépendance, première fois où elle va douter de son rôle à propos de la justice… C’est aussi la première fois que la jeune Noée Abita a le premier rôle dans un film pour jouer un personnage adulte (après l’enfance dans Ava et l’adolescence dans Slalom). Et peu importe si le suspect est innocent ou coupable, en tant qu’avocate, la seule vérité est celle de son client.
Une affaire de principe, de Antoine Raimbault (avec Bouli Lanners, Thomas VDB, Céleste Brunnquell, Lisa Loven Kongsli)
Le premier film de Antoine Raimbault, Une intime conviction, était un film de procès basé sur des joutes verbales. Changement de décor mais même thématique autour de la difficulté d’obtenir justice, avec un film qui repose encore sur des dialogues. Avec Une affaire de principe, il s’agit d’établir une stratégie pour obtenir gain de cause. Les décors sont là, essentiels. Avec eux on est plongés dans les couloirs du siège de la commision européenne pour essayer de faire voter des lois. De prime abord l’acteur Bouli Lanners avec l’apparrence du député européen José Bové,ça pouvait sembler étrange mais l’histoire qui se joue est palpitante, d’autant plus que le scénario s’inspire de faits bien réels où il a fallu batailler contre les lobbys du tabac (et leur corruption active). Le film est notre équivalent européen comparable à Révélations de Michael Mann avec Al Pacino et Russell Crowe. Sa conclusion ouvre d’ailleurs sur une corruption de plusieurs députés français… Ce parcours du combattant est un film sur les coulisses du pouvoir. Les lobbys font tout pour entraver le projet de loi pour l’obligation de présenter le paquet de cigarrettes neutre (plus de logo de la marque, et à la place l’avertissement que fumer tue avec une photo dégouttante), et il s’en est fallu de peu pour que la loi ne passe pas : le sujet est autant un scandale qu’une lutte d’influences passionante.
Le Deuxième acte, de Quentin Dupieux (avec Léa Seydoux, Vincent Lindon, Raphaël Quenard, Louis Garrel)
Comme en 2022, cette année 2024 a hérité de deux films de Quentin Dupieux au cinéma : Daaaaaali ! (sans doute son film le plus faible) et Le deuxième acte qui a fait l’ouverture du Festival de Cannes. Avec une vague histoire de marivaudage où une jeune femme doit présenter son nouvel amoureux à son père, Dupieux déploie des saynètes plus méta que jamais sur le monde du cinéma. Entre la jalousie des acteurs pour le succès des autres, l’égo qui gonfle comme pas possible s’il y en a un qui est appelé à rejoindre un grand film prestigieux, une tentative de baiser forcé, #MeToo, l’homophobie, l’intelligence artificielle qui remplace un scénariste : un peu tout se mélange avec un humour surréaliste. Dupieux a été assez malin pour choisir les acteurs les plus ‘tête-à-claques’ du moment, et Seydoux-Lindon-Garrel-Quenard ont été assez malins pour surjouer avec leur image. En prime, Dupieux a aussi réalisé ici le record du plus long travelling de l’histoire du cinéma !
En attendant la nuit, de Céline Rouzet (avec Mathias Legoût Hammond, Céleste Brunnquell, Élodie Bouchez) – 1er film
Une famille emménage dans une petite ville… On va comprendre que leur but est de s’intégrer sans se faire remarquer car le grand fils a besoin d’hémoglobine pour se nourrir. C’est pourquoi la mère va trouver un travail d’infirmière, pour voler des poches de sang. Cette fois, la famille espère que tout se passera bien sans avoir à déménager encore une fois, mais… En attendant la nuit est une jolie incursion dans le film de genre avec une version contemporraine de la figure du vampire. Le film a été sélectionné au Festival de Venise et a reçu un prix à Gerardmer, et à Bruxelles (prix de meilleur acteur pour Mathias Hammond Legoût, ignoré par les Révélations des César, prix de meilleure actrice pour Elodie Bouchez). A noter que la musique qui participe beaucoup à l’ambiance du film est composée par Jean-Benoît Dunckel (moitié du groupe Air).
Pendant ce temps sur Terre, de Jérémy Clapin (avec Megan Northam)
Evidemment Megan Northam est une favorite pour recevoir le César de Meilleure révélation féminine pour le film Rabia, mais elle est tout aussi intense dans Pendant ce temps sur Terre de Jérémy Clapin. Son premier long-métrage en animation, J’ai perdu mon corps, avait été récompensé du César du Meilleur long métrage d’animation (et même nommé à un Oscar). Celui-ci nous plonge dans un tout autre univers, sans animation (ou presque, car il y a quelques courtes parenthèses animées) mais avec toujours ce goût de l’étrange que Clapin développe depuis ses courts-métrages. Pendant ce temps sur Terre mélange l’intime avec un deuil impossible et l’extraordinaire avec une possible invasion venue d’ailleurs, sauf si la jeune fille est moins victime que coupable… L’histoire montre des choses et en suggère possiblement d’autres. Une belle audace.
Une vie rêvée, de Morgan Simon (avec Valeria Bruni Tedeschi, Félix Lefebvre, Lubna Azabal)
Le film est passé relativement inaperçu en salles (une bande-annonce maladroite ?), et en nombre de spectateurs c’est presque un cauchemar. Pour autant, ce deuxième film de Morgan Simon mérite d’être découvert par un plus grand nombre. Et s’il y a une chose que le cinéaste sait bien faire c’est la direction d’acteur. Dans chacun de ses films, courts et longs, les interprètes jouent le meilleur d’eux-mêmes. A la fois portrait de femme, de mère, d’amoureuse qui se questionne, et même aussi portrait des crispations communautaires de l’époque, Une vie rêvée fait vibrer plusieurs cordes sensibles.
Ni Chaînes Ni Maîtres, de Simon Moutaïrou (avec Ibrahima Mbaye, Thiandoum Anna Diakhere, Benoît Magimel, Camille Cottin, Félix Lefebvre) – 1er film
C’est le premier long de Simon Moutaïrou en tant que réalisateur, mais il est déjà connu comme co-scénariste de certains grands succès passés comme les films d’action de Julien Leclerc (L’Assaut, Braqueurs), les films de tension de Yann Gozlan (Burn out, Boîte noire) ou encore d’injustice tel Goliath de Frédéric Tellier. Action, tension, injustice, tout ça est réunit ici pour la sombre période de l’esclavage au XVIIIème sicèle sur l’île Maurice. Presque tout est prévu pour dissuader une évasion, et malgré tout, il va y avoir quelques fugitifs et une ‘chasse’ pour les rattrapper… Le film impressionne autant qu’il est nécéssaire.
Drone, de Simon Bouisson (avec Marion Barbeau) – 1er film
Premier long-métrage de Simon Buisson, qui avait aiguisé sons sens de la réalisation autour des nouveaux outils technologiques pour des séries télé (Stalk, 3615 Monique). Au cinéma, il utilise le drône à la fois pour ce qu’il est (un outil pour filmer des images comme aucune autre caméra ne se déplace) et surtout pour ce qu’il pourrait être (un outil d’espionnage et d’intrusion qui cible des gens). Une jeune femme reçoit des images d’un drone à propos d’un drame arrivé à une connaissance, et elle serait la nouvelle cible… On y retrouve l’actrice Marion Barbeau (après sa nomination au César de Meilleur espoir féminin pour En corps de Cédric Klapisch) qui joue à merveille une jeune fille introvertie qui n’aime pas être remarquée. Derrière cette menace, le film aborde en creux les diverses agressions qu’une femme subit dans son entourage comme dans le travail…
Leurs Enfants après eux, de Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma (avec Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami, Gilles Lellouche, Ludivine Sagnier)
L’année dernière LA grande absence surprenante des César (aucune nomination) était Le temps d’aimer de Katell Quillévéré (avec Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste). Cette année LA grande absence pourrait être Leurs Enfants après eux des frères Boukherma. Même pas une nomination en catégorie Meilleur scénario adapté (d’autant plus que cette catégorie ne comporte que trois noms au lieu de cinq), ce qui aurait été plus que logique puisqu’il s’agit d’une adaptation réussie et fidèle du roman éponyme de Nicolas Matthieu (Prix Goncourt 2018). Même Gilles Lellouche aurait pu lui prétendre à une nomination en Meilleur acteur dans un second rôle. Le film suit le devenir de ses personnages sur environ 8 ans, par éllipse, et en particulier autour d’un adolescent (Paul Kircher qui confirme le grand acteur en devenir). Rivalités, séparation, obsession… Tout se déroule dans une région où les perspectives d’emploi et de d’avenir sont désespérantes. Le film ravive une nostalgie du passé pour les spectateurs avec certains marqueurs symboliques (le grunge, la coupe du monde foot). Ce n’est pas si souvent que le cinéma français produit une fresque générationelle, fut-elle bancale.
Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant (avec Noémie Merlant, Souheila Yacoub, Sanda Codreanu, Lucas Bravo)
Un trio de copines inséparables s’amusent à observer un mystérieux et beau voisin sur le balcon d’en face, l’occasion de se rencontrer. Mais tout va dérailler : un cadavre et beaucoup de sang… Les trois jeunes femmes représentent tout un éventail de relations diverses avec des hommes, et la sororité est visible : une grande liberté de parole, l’exposition du corps sans jugement, et le soutien moral entre filles. Les femmes au balcon distille plein de thématiques féministes (le consentement, le désir, le viol conjugal, le bodycount, l’examen gynécologique, le body-shaming…). Noémie Merlant ose un film d’une liberté folle et à la radicalité fantasque : si un homme est coupable, on peut s’en débarrasser… Jubilatoire.