Cannes 2025 | La place toujours si « spéciale » de l’animation

Cannes 2025 | La place toujours si « spéciale » de l’animation

On a pris l’habitude de commenter, à chaque nouvelle édition cannoise, la place – plus ou moins modeste – accordée au cinéma d’animation. Cette année, il y a un certain nombre de raisons de se réjouir, à commencer par la belle reconnaissance de l’animation française (5 longs métrages sur les 6 présentés) – même si le cinéma animé continue encore trop souvent à être traité comme une cinématographie “à part”, un peu accessoire, pour ne pas dire “de seconde zone”. 

Les bonnes nouvelles d’abord : le choix fort et audacieux de la Quinzaine des cinéastes de sélectionner le 4e long métrage de Félix Dufour-Laperrière, cinéaste québécois bien connu du monde de l’animation depuis ses premiers courts au début des années 2000. La mort n’existe pas (quel titre !) traite d’un sujet brûlant, complexe, et extraordinairement contemporain, celui de la violence comme arme politique. Réalisé dans une petite économie de moyens, avec des partis pris puissants, le film jette un formidable éclairage sur un pan trop méconnu du cinéma d’animation : son versant le plus adulte et le plus ancré dans un cinéma d’auteur qui n’a absolument rien à envier à la prise de vue continue. Il n’y avait probablement que la Quinzaine de Julien Rejl pour s’engager sur un tel film (Quinzaine qui avait déjà opté en 2024 pour le magnifique Hyperboreans de Cristóbal León et Joaquín Cociña), affirmant haut et fort la vocation d’un festival comme celui de Cannes.

Dans le même esprit, quelle joie de retrouver Planètes, le premier long métrage de la cinéaste Momoko Seto, en clôture de la Semaine de la Critique ! Les aficionados du court métrage connaissent son travail depuis Planet A, réalisé lorsque la cinéaste était étudiante au Fresnoy. Planètes est un projet fou : raconter le voyage d’un groupe d’akènes de pissenlits à travers l’espace, à la recherche d’une nouvelle planète où s’implanter. Mêlant différents registres d’images (animation numérique, time-laps, prise de vue continue…), le film met notamment en scène des végétaux et des animaux vivants pour incarner la faune et la flore des différents lieux traversés par les protagonistes. Après l’épopée muette des animaux de Flow de Gints Zilbalodis, c’est parti pour un road trip cosmique en compagnie de graines, de planctons, de limaces et de calamars-lucioles !

Spécial, vous avez dit spécial ?

Les autres longs métrages d’animation sont en sélection officielle. Après la belle mise en valeur de La plus précieuse des marchandises de Michel Hazanavicius en compétition l’an dernier, et celle de Flow à Un Certain regard, c’est le retour de la séance spéciale (un peu fourre-tout ?)  pour Amélie et la métaphysique des tubes de Maïlys Vallade et Liane-cho Han, Arco de Ugo Bienvenu et Marcel et Monsieur Pagnol de Sylvain Chomet

Trois films, trois séances spéciales, y compris pour Chomet, qui fit une telle sensation sur la Croisette en 2003 avec Les Triplettes de Belleville (alors présenté hors compétition) ? Sans être excessivement tâtillon ou parano, on peut y voir un peu plus qu’une coïncidence. Comme un dernier reste de perplexité et d’embarras face à une forme de cinéma avec laquelle – de manière générale – les sélectionneurs, les professionnels et même les critiques sont spontanément moins à l’aise. 

Pourtant, on ne présente plus Sylvain Chomet, qui revient donc avec son quatrième long métrage, un biopic assumé de Marcel Pagnol (dont on célèbre cette année le 130e anniversaire de la naissance – les choses sont bien faites). Pourtant, une adaptation d’un roman d’Amélie Nothomb mérite d’être célébrée comme une fête, et portée aux milliers de professionnels venus du monde entier. Pourtant, Ugo Bienvenu a dessiné des carrés pour Hermès, réalisé une série pour Disney, et est coproduit par MountainA, la société de Sophie Mas et Natalie Portman (qui fait l’une des voix du film, par ailleurs porté par une belle ambition). On a beau y faire, quelle que soit la manière dont on prenne les choses, on a l’impression d’une forme de service minimum. 

Des courts et du patrimoine de haute volée

Cela reste la croix du cinéma d’animation : sa singularité formelle dissimule trop souvent sa parfaite communauté d’esprit avec le cinéma en général, et le renvoie mécaniquement aux marges. Ce qui change, en revanche, c’est que ces films sont malgré tout présents sur la Croisette, quand, il y a encore quelques années, ils auraient peut-être été tout bonnement évincés – ou relégués sur la plage. 

La plage, parlons-en ! Cette année, pas d’avant-première (et c’est tant mieux pour les films qui bénéficieront de meilleures conditions de projection, sonores notamment), mais on y retrouvera une vraie rareté : L’oeuf de l’ange de Mamoru Oshii, qui fête son 40e anniversaire ! On aurait adoré le (re)découvrir dans le cadre de Cannes Classics, en présence de son réalisateur, et avec un peu d’apparat – mais ne faisons pas la fine bouche. Le film, qui est inédit en France, est une collaboration entre le réalisateur Mamoru Oshii (qui n’avait pas encore réalisé Ghost in the Shell) et l’illustrateur Yoshitaka Amano (Gatchaman, la franchise Final Fantasy) qui lui a imprimé une esthétique particulièrement onirique. Une vraie expérience, à vivre donc – une fois n’est pas coutume – sous les étoiles, avant une possible ressortie de la version restaurée 4K par Gebeka international.

Enfin, on l’oublierait facilement, mais l’animation est toujours présente à Cannes via son format-phare, le court métrage. Et là, c’est un feu d’artifices ! Trois films à la Semaine, deux à la Quinzaine, deux en compétition officielle et trois à la Cinéfondation. Mieux encore, on y retrouve des cinéastes confirmés dont les nouveaux films sont particulièrement attendus, d’Agnès Patron (César du meilleur court métrage d’animation en 2021 avec L’Heure de l’ours) à Yumi Jung (qui fait son retour à Cannes plus de quinze ans après sa sélection à la Quinzaine des Cinéastes en 2009 avec Dust kid), en passant par Alex Boya (Turbine) et Sandra Desmazières (Comme un fleuve). 

Normalisation

Et puis, comme chaque année, de nouveaux projets seront présentés en work-in-progress dans le cadre du Animation day organisé en partenariat avec le festival d’Annecy : Julián de Louise Bagnall, Sunny de Michael Arias, Ana, en passant de Fernanda Alves Salgado, Dante de Linda Hambäck et Mu Yi et le beau général de Julien Chheng (dont nous vous parlions lors du dernier Cartoon Movie). 

Alors, verre à moitié vide ou verre à moitié plein – il est relativement inutile de se poser la question en ces termes. On ne saurait juger une sélection sur des critères quantitatifs, et sans avoir vu tous les films. Il sera en revanche intéressant, après avoir fait une grande session de rattrapage à Annecy, de juger les arbitrages qui ont été faits, et de tenter de comprendre l’absence sur la croisette de certains films très attendus comme Allah n’est pas obligé de Zaven Najjar ou Le Secret des mésanges d’Antoine Lanciaux, pour ne citer que les deux plus évidents. Car, on en a bien conscience, une programmation reflète toujours des décisions difficiles pour trouver un équilibre fragile entre toute une foule de critères pas compatibles entre eux. Les films que l’on n’a pas pu sélectionner sont parfois ceux qui nous poursuivent le plus longtemps. 

Quoi qu’il en soit, le cinéma d’animation continue sa percée sur le front des grands festivals généralistes, et même s’il doit toujours prouver un peu plus ardemment sa valeur et son intérêt, le temps travaille en sa faveur. Le grand succès d’un film comme Flow, qui restera comme l’un des plus importants de 2024, toutes cinématographies confondues, a prouvé qu’il n’est plus possible d’ignorer l’animation indépendante. Les mentalités changent, à tous les niveaux, et en parallèle, la production s’envole, offrant des propositions de plus en plus diverses et audacieuses. Dans cette dynamique, on ne voit pas pourquoi la présence de films d’animation au firmament des grands festivals généralistes ne deviendrait pas définitivement la norme.