
Clémence et Laurent, séparés depuis plusieurs années, partagent la garde de leur fils Paul. Cependant, lorsque Laurent apprend que Clémence a des relations avec des femmes, celui-ci décide de l’éloigner de son fils. Clémence va alors devoir se battre pour rester mère, femme et libre.
Anna Cazenave Cambet revient sur la Croisette avec Love me Tender, sélection Un Certain Regard. La réalisatrice est une habituée de Cannes. En 2016, son premier court métrage, Gabber Love est sélectionné par la Cinéfondation et distingué par une Queer Palm du court. Il y a cinq ans, son premier long, De l’or pour les chiens est choisi par le comité de la Semaine de la Critique, pour son édition hors-les-murs d’une année marquée par le confinement et l’annulation des festivités cannoises.
Love me Tender lui fait passer un cap : un casting d’interprètes connus et nommés ou récompensés aux César, l’adaptation d’un livre récompensé par le prix Les Inrockuptibles, une histoire vraie racontée par Constance Debré, petite-fille du père de la Ve République, fille d’un journaliste auréolé du prix Albert-Londres, nièce d’un ancien ministre, président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, et d’un grand urologue, auteur et député. Autant dire que Constance détonne dans la lignée.
Avocate douée, mariée, mère. La vie pouvait s’apparenter à un long fleuve tranquille. Love me tender raconte comment Constance Debré a explosé le schéma. Quitte à tout perdre.
Des longueurs en apnée

D’emblée, la cinéaste ne cache rien : son héroïne est une bourgeoise disciplinée, attirée par d’autres femmes. Vingt ans de mariage, un fils. Elle est passée aux filles. Sans divorcer. Une séparation à l’amiable, basée sur un contrat tacite. La voix off est omniprésente. Parfois, ce système narratif est percutant. Mais il est souvent la marque d’une paresse d’écriture. Heureusement, les mots et le style de Constance Debré accrochent, d’autant plus avec la voix posée de Vicky Krieps.
Mais très rapidement, l’image ne devient finalement qu’illustration. L’adaptation semble n’être qu’un récit visuel d’un texte qui s’autosuffit. Et à vouloir tout montrer, tout raconter, le film s’étire jusqu’à lui retirer tout rythme, tout souffle. Un comble pour l’histoire d’une femme qui se régénère dans la natation.
Cette mise à distance d’un récit intime et enragé empêche une quelconque empathie. Le père (Antoine Reinartz, qui excelle décidément à jouer le mauvais rôle) rompt leur accord et se met à détester son ex. Tout paraît binaire. Il doit être le méchant, l’ordure, se révélant soudainement masculiniste et lesbophobe, et jamais la caméra ne cherche à comprendre son point de vue ou même le cheminement intérieur qui le pousse à cette violence psychologique insupportable.
Plongeon dans les abysses

La routine s’enraye. Une autre s’installe. On pourrait croire que tout va s’accélérer. Que nenni. Toute la dramaturgie tient dans l’injustice (réelle et insupportable) vécue par la mère, qui n’a pas le droit de voir son fils, déchue de sa parentalité, exclue de son passé. Bien sûr cela révolte (et tout est fait pour nous révolter). Centré sur elle, Love me Tender cherche grossièrement à nous mettre dans son camp. Le spectateur n’avait pas besoin d’une ficelle aussi épaisse.
D’autant que Vicky Krieps est parfait en femme ultrasensible, vulnérable, atteinte dans ses tripes. Femme agressée par la société (qui lui impose un mode de vie, une morale), attaquée par son ex mari, il ne lui reste plus que l’écriture et sa liberté (amoureuse).
Il y avait là une matière intéressante à produire une fiction autour d’un combat de type « Mon fils, ma bataille ». À l’instar des films de Jeanne Herry (Pupille, Je verrai toujours vos visages), Anna Cazenave Cambet aurait pu se focaliser sur la procédure juridique et administrative, avec ces droits de visite encadrés, pour se décentrer d’une autofiction qui semble impossible à transposer.
Chaque partie du film se heurte à un cinéma trop descriptif alors que la matière est en or. Que ce soit le mal que font les hommes, l’absurdité d’un système qui rejette une mère non hétéro, ou la lenteur d’une justice qui ne se soucie pas de l’équilibre de l’enfant, tout aurait pu donner un film nerveux.
Brasse coulée

La colère bouillonne et sur l’écran rien n’explose. Heureusement, Love me Tender est bien plus convainquant quand il s’agit d’être tendre ou poignant. Dès qu’il s’éloigne du sociétal pour se recentrer sur le social, le film atteint bien mieux sa cible.
Hélas trop long, avec de nombreuses scènes assez vides de sens ou d’intérêt, tout se dilue dans un récit tiède, comme un vélo ralenti par un faux-plat. À l’arrivée, cette mère dépossédée, endeuillée d’un fils pourtant bien vivant, aurait du nous faire frissonner. Mais, comme elle et son garçon, tout devient étranger. Les souvenirs s’effacent. Et l’intensité émotionnelle ne mène qu’à un chagrin passager.
Reste alors l’admiration pour une femme qui n’a pas hésité à sauver sa liberté, son identité, quitte à sacrifier une partie d’elle-même.
Love me tender
Cannes 2025. Un certain regard.
2h14
Sortie en salles : 10 décembre 2025
Réalisation : Anna Cazenave Cambet
Scénario : Anna Cazenave Cambet, d'après le roman éponyme de Constance Debré
Image : Kristy Baboul
Musique : Maxence Dussere
Distribution : Tandem
Avec Vicky Krieps, Antoine Reinartz, Monia Chokri, Viggo Ferreira-Redier, Féodor Atkine, Aurélia Petit, Park Ji-min, Manuel Vallade, Salif Cissé...
