Deauville 2021 | Dune, un spectacle foisonnant et froid

Deauville 2021 | Dune, un spectacle foisonnant et froid

Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême. Sachez donc que l’on est en l’an 10191. L’univers connu est gouverné par l’empereur Padishah Shaddam IV. A cette époque, la plus précieuse substance de l’univers est l’Épice, l’Épice amplifie le champ de conscience et est vitale au voyage dans l’espace… L’Épice n’existe que sur une seule planète dans tout l’univers, dans les cavernes et les rochers de ses déserts vit un peuple connu sous le nom de Fremen, qui depuis longtemps prophétise la venue d’un homme, d’un messie… Cette planète, c’est Arrakis, connue aussi sous le nom de Dune.

Dune c’est d’abord un roman de science-fiction devenu culte écrit par Frank Herbert, avant de rapidement séduire le cinéma. Au milieu des années 70, un premier projet d’adapation par Alejandro Jodorowsky échoue : trop cher (mais il en fera un documentaire). Après le succès mondial de la saga Star Wars de George Lucas, les studios cherchent des fresques SF. On confie alors Dune à David Lynch en 1984. Echec public et critique. Reconnaissons qu’en le revoyant, c’est devenu un peu kitch. Après plusieurs annonces, c’est finalement Denis Villeneuve qui hérite de l’inadaptable Dune. Il a épaté avec Premier contact, film SF mode Rencontres du Troisième type ou Contact, et séduit esthétiquement avec Blade Runner 2049, prouvant qu’il pouvait s’approprier n’importe quel univers.

Le roman originel est très épais et son histoire est très dense (de suites en déclinaisons, reprises par le fils de l’auteur, on s’y perdrait même un peu). Et s’il était nécéssaire d’avoir recours aux technologies numériques modernes pour transposer au mieux l’univers de Dune sur grand écran, le problème est avant tout narratif: comme rendre limpide une fresque chorale et complexe telle que celle-ci?

Pour synthétiser, il y a un empereur tout-puissant sur la planète Kaitain qui ordonne au clan des Atreides de la planète Caladan d’aller contrôler la production de la très précieuse Épice de la planète Arrakis alias Dune. Mais c’est un complot pour détruire l’influence de ce clan Atreides. Le tout avec la complicité du clan des Harkonnen, pas vraiment des enfants de chœur, de la planète Geidi Prime et le peuple des Fremen de Arrakis/Dune, qui aspire à ne plus être colonisé pour l’Épice. Tout ce contexte de conflits politiques était assez clairement expliqué dans le Dune de David Lynch. Il l’est beaucoup moins dans celui de Dennis Villeneuve.

« Qui seront nos prochains oppresseurs ? »

Dune version 2021 repose sur une construction du récit où les dialogues explicatifs ont été largement réduits tout en étirant en longueur beaucoup de séquences. Une sorte d’épure à l’os. Le nouveau Dune est, en ce sens, moins l’histoire d’une épopée qu’un spectacle visuel et sonore.

Presque chaque séquence est l’occasion de mettre en scène une sorte de tableau multimédia avec les personnages qui évoluent dans des décors de taille gigantesque, où tout ce qui produit des sons est très amplifié (surtout dans les salles de cinéma au son Dolby Atmos). Les diverses constructions, les costumes, les navettes aériennes, les déserts de sable… : presque tout apparaît dans cinquante nuances de beige.

Les armes, les boucliers, les combats, les divers engins ont tous un vombrissement et un bourdonement qui résonne. Plus que la direction des acteurs ou le rythme même du film, c’est en fait tout les aspects de la direction artistique (costumes, décors, accesoires, les CGI, mixage son, la musique de Hans Zimmer…) qui fait la richesse du film. Dennis Villeneuve semble avoir été ici moins un réalisateur inspiré et plus un chef d’orchestre validant le travail des meilleurs techniciens du moment. Les gigantesques vers de centaines de mètres qui sortent des sables avec une machoire immense (créature qui symbolise Dune) étaient ce qu’il fallait réussir le mieux, et pour ça, le contrat est rempli.

Il y a beaucoup de personnages. Certains prennent plus de place que d’autres. L’objectif aléatoire d’une trilogie a entraîné une prise de risque: ceux qui seront peu présents devraient prendre plus d’importance par la suite. Le casting de Dune est idéalement choisi parmi les comédiens en vogue du moment, et c’est d’ailleurs le point commun des différentes adaptations d’Alejandro Jodorowsky, David Lynch et Dennis Villeneuve : une dizaine de grands noms. On y remarque donc Oscar Isaac, Josh Brolin, Stellan Skarsgård, Jason Momoa, Javier Bardem, un peu Charlotte Rampling, Zendaya dont le rôle devrait grandir. Mais le duo star c’est bien le jeune et joli minet tourmenté Timothée Chalamet (glam jusque dans ses boucles de cheveux) et la rousse incendiaire Rebecca Ferguson (qui décidément, depuis Mission : Impossible sait faire face à toutes les hostilités et voler la vedette aux plus grandes stars).

L’histoire de Dune tourne autour de Chalamet qui incarne le jeune héritier du clan Atreides et va devoir se révéler autant à lui-même que aux autres. Les talents d’acteur du jeune Timothée Chalamet apparaissent un peu effacés et en deça de ce qu’on pourrait attendre de ce personnage de héros. Il semble même très en retrait en compagnie de sa mère, jouée à merveille par l’excellente Ferguson, avec qui il partage l’écran une grande partie du temps. La version Dune de David Lynch souffrait du même défaut : son héros Kyle MacLachlan était moins talentueux et moins charismatique que ceux qui l’entouraient.

Dune souffre toujours de sa chizophrénie. On y cherche un film à la Star Wars alors qu’il s’agit d’un tableau ésotérique et métaphorique d’un monde apcalyptique. Villeneuve prouve une fois de plus son immense sens de l’esthétisme. Il défie les codes du blockbuster en optant pour une expérience contemplative et psychologique. Son minimalisme est à louer, mais, en l’absence d’un arc narratif vraiment singulier ou intense, il vide Dune de toute substance émotionnelle.

« This is only the begining… »

C’est à la fois un film d’auteur en format blockbuster et un blockbuster dont le succès autorisera ou non une suite l’enjeu est énorme, dans un contexte ou les plateformes de streaming sont en concurrence économique avec les salles de cinéma. Dune en 2021 c’est un peu comme le semi-échec de Tenet de Christopher Nolan en 2020 : son score dictera un peu l’avenir de ce type de productions liant exigence d’auteur et énorme budget.

Le Dune de David Lynch était techniquement très imparfait en 1984 et encore plus aujourd’hui, toutefois en 2h15 il était parvenu à raconter une histoire assez complète. C’est la grande frustration que l’on retire de la version de Denis Villeneuve : environ 2h30 et on y voit que la moitié de l’histoire. Il va falloir attendre longtemps encore que la suite arrive un jour sur nos écrans, mais on a déjà la promesse que ça sera encore plus spectaculaire. Et on peut espérer que la suite gagne en épaisseur…

Fiche technique
Dune 
Rélisation : Denis Villeneuve
Avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Josh Brolin, Zendaya, Jason Momoa, David Bautista, Charlotte Rampling, Jason Momoa... 
Durée : 2h35
Sortie en salles : 15 septembre 2021
Distributeur : Warner Bros