Rotterdam 2021 : Earthearthearth de Daïchi Sato

Rotterdam 2021 : Earthearthearth de Daïchi Sato

Présenté dans une sélection courts métrages dense et exigeante, Earthearthearth du réalisateur Daïchi Sato était probablement l’œuvre la plus formellement expérimentale de la compétition Ammodo Tiger Short 2021. Le réalisateur canadien d’origine japonaise, qui avait remporté le Tiger Award du court à Rotterdam en 2016 pour Engram of returning, a profité d’un voyage dans les Andes dans le cadre d’une résidence artistique pour filmer en 16mm les paysages grandioses et impressionnants du massif montagneux, au cœur de la splendeur aride du désert d’Atacama.

L’image a ensuite été longuement retravaillée pour confronter le spectateur à l’idée de ce paysage, plus qu’au paysage lui-même. Le réalisateur explique en effet que son propos n’était pas de rendre compte de la beauté des lieux, mais de s’attacher à ce qui, dans cette beauté, demeure caché et insaisissable. On a ainsi le sentiment de voir traduit en images (en lumière, en couleurs, en textures) ce que recouvre la réalité de ce panorama accidenté, aride et grandiose. Ce qui se dissimule mais aussi ce qui forme cette montagne façonnée par le temps, ce désert modelé par les accidents combinés de la géologie et de l’histoire. 

Daïchi Sato crée ainsi de toutes pièces un espace nouveau dans lequel se projettent les paysages et leur halo, dans une variété de couches et de profondeurs qui en saisissent la dimension vitale, multidimensionnelle et énergétique. Au départ, on a l’impression d’assister, en accéléré, au lever du jour. Des lignes horizontales fortes viennent diviser l’image en plusieurs couches successives à l’identité propre. Puis c’est comme si les images se révélaient à nos yeux par un processus chimique de développement, avant de disparaître à nouveau ou de se combiner en un complexe jeu de surimpressions. En parallèle, les vagues sonores de Jason Sharp, qui improvise au saxophone basse, montent et descendent comme un reflux. Les sons se mêlent de souffles et de battement de coeur, puis se muent en une longue plainte tandis que l’image nous donne l’impression de basculer dans un monde de science fiction à la dominante rouge. C’est tout à coup comme si la texture de l’image devenait liquide, chaque couche se mettant à couler dans la suivante. 

C’est un euphémisme de dire que Earthearthearth est un film sensoriel qui nous offre, pendant 30 minutes que l’on ne voit pas passer, un voyage méditatif et hypnotique comme on en fait trop rarement. On aurait voulu, cela va sans dire, le découvrir sur grand écran, dans l’obscurité complice d’une salle de cinéma, seule capable de restituer les nuances et les subtilités d’une oeuvre dans laquelle la précision et la richesse de la composition visuelle préside à toute notion de sens ou de message. Pourtant, et ce n’est pas là la moindre de sa force, ce poème formel et chorégraphique nous éblouit et nous saisit, au sens le plus fort du terme, jusque sur l’écran timbre poste de l’ordinateur où se déroulent désormais nos festivals.