Le Festival d’animation de Paris est enfin de retour : rencontre avec son directeur artistique Alexis Hunot

Le Festival d’animation de Paris est enfin de retour : rencontre avec son directeur artistique Alexis Hunot

Le PIAFF (Paris international animation Film Festival), qui est l’une des rares manifestations parisiennes consacrées au cinéma d’animation, et plus particulièrement à son format-phare, le court métrage, s’installe au Studio des Ursulines (dans le 5e arrondissement) du 2 au 5 juillet prochain.

Après une année blanche en 2020, comme tant d’autres festivals, il propose une édition resserrée autour de plusieurs compétitions de courts (professionnels, étudiants, film de commande et « Horizons ») ainsi qu’une soirée de clôture exceptionnelle avec la projection en avant-première du nouveau long métrage de Félix Dufour-Laperrière, Archipel, qui a reçu une mention lors du dernier festival d’Annecy. Un événement forcément incontournable, dont nous avons eu la chance de parler avec l’un de ses organisateurs, Alexis Hunot, qui en est le directeur artistique.

Ecran Noir : Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’est le PIAFF et quelle est sa vocation ?

Alexis Hunot : Le festival s’appelait au début Croq’anime. Il a été créé par Sylvie Dimet qui voulait proposer un espace pour voir et mieux promouvoir le court métrage d’animation. Le festival était basé dans le 20e à Paris et comme il était gratuit, ça a permis d’attirer un public qui connaissait peu le cinéma d’animation.
Quand Sylvie m’a demandé d’être le directeur artistique du festival, pour marquer le coup, on a décidé de changer de nom. L’intitulé est devenu plus descriptif : le Festival International du Film d’Animation de Paris… mais FIFAP, on trouvait que ça sonnait pas super bien ! Donc on a mis ça en anglais : PIAFF, et ça marche bien notamment à l’étranger, grâce bien sûr au nom d’Edith Piaf.
Aujourd’hui on change d’arrondissement, le festival devient payant, mais on est accueilli désormais dans un magnifique cinéma, et le festival garde son envie première d’avant tout mettre en avant le format court.

Rivages de Sophie Racine

EN : Toute l’équipe tenait à ce que cette édition, qui aurait dû avoir lieu à l’automne 2020, puisse se tenir « en vrai », dans une salle de cinéma, et en l’occurrence dans le très beau Studio des Ursulines. En quoi était-ce important ?

AH : D’abord il faut dire la vérité : parce qu’après des mois sans cinémas, on avait besoin de se retrouver dans une salle avec un grand écran ! Le court se voit aujourd’hui beaucoup sur nos petits écrans, et cela a permis une meilleure diffusion du cinéma d’animation. Mais on est d’accord que rien ne remplace le plaisir de voir tous les détails du film sur un grand écran, d’avoir un véritable environnement sonore… Et puis dans une salle on est concentré, on est dans le film. Il y a ce bonheur d’être dans l’obscurité et de ne voir que ce qui vient de l’écran.

Il y a aussi l’expérience de voir un film avec d’autres gens, leurs réactions vont nous amener à aimer encore plus le film, ou bien nous agacer (rires)… mais il y a ce plaisir du partage et des discussions passionnées d’après séance.
Et puis, avoir attendu pour finalement se retrouver dans ce si beau cinéma des Ursulines, en effet, c’est un grand bonheur pour Anne Ory, la nouvelle directrice, et moi-même

« Dans le court métrage, il y a moins de pression et donc une expression plus diversifiée car plus libre, loin des enjeux économiques ! »

EN : Le court métrage, qui est le cœur du festival, tient une place particulièrement prépondérante dans le cinéma d’animation. Comment expliquer cette richesse et cette vitalité ?

AH : C’est intéressant comme question car en effet la plupart des réals qui passent du court au long disent bien que le court est la forme la plus passionnantes pour la création animée. Déjà, c’est le format principal depuis le début du cinéma d’animation. Là où la prise de vues continues est rapidement allée vers le long (même si bien sûr le court a encore une grande place dans cette technique), l’animation n’aborde finalement que peu le long métrage. Cela dit, cette tendance tend à s’amenuiser petit à petit, les créateurs-trices en image par image étant de plus en plus attirés par le format long.

Pour répondre plus directement à la question, le court métrage c’est la Liberté ! On a une chance et une malchance. La malchance, c’est que le court est peu distribué en dehors des festivals et donc il n’a pas une grande exposition (sauf quand un film est sélectionné dans des festivals comme Clermont, Annecy, etc.) En revanche, la chance liée à ce manque de diffusion, c’est qu’il y a moins de pression et donc une expression plus diversifiée car plus libre, loin des enjeux économiques. Eh oui, moins il y a d’argent à faire, moins les gens sont intéressés, et plus il y a de liberté. Le court animé pourrait servir un peu plus de vision politique pour ce monde !

« Je considère que le PIAFF doit essayer de mettre en avant des cinématographies comme l’expérimental, de montrer des films de pays moins connus pour leur production animée. Et surtout des films qui ont des failles. Beaucoup vont considérer ça comme un défaut, mais pour moi c’est l’inverse »

EN : Comment élaborez-vous les sélections ?  Je pense notamment au nécessaire équilibre entre films très identifiés et œuvres plus confidentielles, à un cinéma parfois plus fragile qui a malgré tout besoin d’être mis en avant, à des auteurs que l’on a envie de suivre ou de mettre en lumière… 

AH : On pourrait passer beaucoup de temps sur cette question (et aussi sur celle de la programmation) tant ce sont des sujets passionnants quand on fait un festival !

On reçoit des films via une plateforme et par mails. Je choisis avant tout dans ces envois-là. Il me semble important de privilégier les films qui nous sont envoyés par des gens qui savent que le festival existe. Ensuite, je regarde beaucoup de films à l’année et j’en sélectionne quelques-uns qui me semblent importants parmi ces films-là.

Et pour être sincère, je fais la sélection seul. C’est certes un gros boulot, mais ça me permet de ne me fier qu’à mon intuition, mes sensations. Bien sûr, ça ne veut pas dire que j’ai raison, loin de là. Mais faire cette sélection seul me permet de construire des programmes basés sur un véritable ressenti. Je me pose rarement la question de la notoriété d’un film par exemple. Il y a de nombreux films que je n’ai pas pris alors qu’ils avaient eu un très grand succès dans les festivals internationaux. Non pas parce que je les considérais comme pas bon, loin de là, mais juste parce qu’ils ne correspondaient pas à ce que j’ai envie de montrer, de mettre en avant…

Abandonned village de Mariam Kapanadze

J’ai envie de dire que l’équilibre à trouver, c’est beaucoup entre des avis très subjectifs et d’autres un peu plus objectifs. J’ai fait la sélection pendant le premier confinement, puis comme on a décalé le festival, je l’ai continué pendant le second confinement. Il y a évidemment des films dans la sélection qui reflètent mon état d’esprit pendant ces deux moments.

Bien sûr, ça peut être un peu piégeant, ce genre de choix, car quelques mois plus tard quand on les voit sur un grand écran, on se dit : « est-ce qu’il va encore marcher ? ». Mais la plupart des films, je les regarde de nombreuses fois. Il est très rare que je prenne un film de façon certaine dès la première vision. Ça peut arriver, mais c’est rare. La plupart je les regarde 4 ou 5 fois, voire plus encore ! Il y a même un film il y a quelques années que j’ai dû regarder une cinquantaine de fois avant d’être sûr de le sélectionner (rires).

Par ailleurs, c’est vrai, je considère que le PIAFF doit essayer de mettre en avant des cinématographies comme l’expérimental, de montrer des films de pays moins connus pour leur production animée. Et surtout des films qui ont des failles. Beaucoup vont considérer ça comme un défaut, mais pour moi c’est l’inverse : les films d’animation sont de plus en plus parfaits. Or, nous, notre monde, nous sommes loin de l’être, et derrière des films moins parfaits techniquement, scénaristiquement, on trouve souvent des êtres humains fascinants. 

« L’une des autres belles surprises, c’est quand le réalisateur Antoine Bieber nous a proposé l’affiche pour cette année. Elle correspond tellement à ce qu’on aimerait que représente le festival : simple, abstraite, ludique »

EN : Il est souvent difficile, en tant que sélectionneur, de donner ses préférences, mais pouvez-vous nous dire quelques mots sur les tendances de cette année, les temps forts, les surprises et les curiosités ?

AH : Je sais que pas mal de sélectionneurs-ses réussissent à percevoir des tendances mais je n’y arrive pas tellement. Les gens de l’animation, comme les autres créateurs-trices, suivent les mêmes thèmes universels, ou bien collent à l’actualité. Prenez les sujets importants aujourd’hui dans l’actualité, ils vont se retrouver dans les films.
Cette année, le festival s’est fabriqué un peu au dernier moment et nous avons décidé de ne faire que des séances de compétitions, il est donc dur pour moi de mettre en avant tel ou tel film ! Je laisse les jurys faire ça ! Mais j’avoue que c’est toujours un énorme plaisir pour moi de voir la sélection Clips sur grand écran, surtout que cette année il y a beaucoup de films très abstraits dans la sélection. La compétition Horizons avec des films qui mettent en avant des sujets très politique et sociaux, mais aussi de vrais enjeux de cinéma comme Abandonned village de Mariam Kapanadze.

Je suis aussi ravi de pouvoir présenter des films qui malheureusement à cause de tout ce qui s’est passé l’année dernière n’ont pas pu beaucoup être vus sur grand écran, comme Rivages de Sophie Racine, Je suis l de Julia Orlik, Carne de Camila Kater, Ghosts de Park Jee-Youn, entre autres. Et puis un festival, c’est aussi pour moi suivre des auteur-es dont on a déjà présenté les films ou qui ont été dans les jurys du festival, et donc montrer des films comme Liza de Bastien Dupriez, LM2 de Gilles Cuvelier ou le premier film « pro » de Marine Blin, Ce qui résonne dans le silence… c’est un immense plaisir !

Ah, et ce n’est pas un film, mais l’une des autres belles surprises qu’on a eue, c’est quand le réalisateur Antoine Bieber nous a proposé l’affiche pour cette année. Elle correspond tellement à ce qu’on aimerait que représente le festival : simple, abstraite, ludique… Quand on vous fait un cadeau comme ça, ça fait aussi partie des belles surprises !

Archipel de Félix Dufour-Laperrière

EN : Archipel de Félix Dufour-Laperrière sera présenté en clôture du festival. Le film, qui vient d’être couronné à Annecy, après avoir fait sa première à Rotterdam, est un captivant essai documentaire qui interroge la notion de territoire et d’identité. Pourquoi avez-vous eu envie de le montrer ?

AH : Oui, c’est drôle ! On parle de court métrage depuis le début, de l’importance de lui faire une part plus importante sur les grands écrans, et on met en avant un long-métrage lors de la soirée de clôture !
Mais en fait, Félix Dufour-Laperrière continue le travail qu’il avait commencé avec Villeneuve : essayer le plus possible de garder dans ses longs cette liberté qu’il avait dans le court. Et quel magnifique cinéma il déployait dans ses courts ! Je pense qu’il donne une nouvelle vision du long d’animation, comme peu de gens l’ont tenté avant lui.
Finir par ce film et son incroyable liberté formelle et narrative, c’est démontrer qu’il n’y a rien de plus important que de se battre, encore et toujours, afin de faire une création qui continue à réfléchir, questionner, émouvoir…

13e édition du Paris international Animation Film Festival
Au Studio des Ursulines, du 2 au 5 juillet 2021
Retrouvez le programme et le détail de chaque séance sur le site de la manifestation