Qui aurait cru que Ildikó Enyedi mettrait autant de temps à revenir à Cannes ?
En 1989, alors âgée de 33 ans, la réalisatrice et scénariste hongroise gagnait la Caméra d’or avec son premier long métrage, Mon XXe siècle, présenté à Un Certain regard. Dans cette fresque burlesque, deux soeurs jumelles séparées pendant leur enfance se retrouvaient, sans le savoir, dans le même train, à l’aube du XXe siècle. Un tourbillon romanesque d’images, de trouvailles et d’idées visuelles.
On a du mal à l’imaginer aujourd’hui, parce que le festival de Cannes, désormais, semble « suivre » de film en film ceux qu’il a découverts, avec une fidélité parfois déconcertante. Mais après avoir révélé la jeune cinéaste, il laisse échapper tous ses films suivants. Qu’à cela ne tienne, ils font le bonheur de Venise (Magic Hunter, en 1994) ou de Locarno, où elle reçoit le prix spécial du jury pour Simon le mage en 1999. Elle réalise également un segment de la collection « 2000 vu par » diffusée sur Arte : Tamas et Juli, Grand prix du festival de Belfort en 1997.
Dans les années 2010, elle semble s’éloigner du cinéma, le temps de soutenir une thèse autour des rapports entre technique et fantastique dans l’image animée, et de travailler sur une série télévisée en 37 épisodes, Terapia.
Puis c’est à nouveau la consécration, à Berlin, où elle remporte l’Ours d’or 2017 avec Corps et âme, ainsi que le prix de la critique internationale et celui du jury oecuménique. Le film met en scène deux employés d’abattoir vivant chaque nuit une histoire d’amour parfaite, en rêve, et sous la forme d’une biche et d’un cerf, mais qui peinent à éprouver les mêmes sentiments dans leur vie éveillée.
On retrouve dans ce film le sens de l’imaginaire et la fantaisie, ainsi que la notion de dualité, qui infusaient déjà Mon XXe siècle, et qui sont comme la marque de fabrique de la réalisatrice. Elle y interroge également les mécanismes de communication, autre question centrale dans son oeuvre. Autant de thèmes qui devraient figurer en bonne place dans L’Histoire de ma femme, en compétition cette année, adapté du roman du même nom de l’écrivain hongrois Milán Füst, paru en 1942, et qui est une sorte de journal de bord d’un marin resté à terre, fou amoureux d’une femme qui ne partage pas ses sentiments.