En 2016, Sean Penn marquait l’histoire du Festival de Cannes avec un film complètement raté, The last Face, accueilli peu charitablement par la presse et les festivaliers, qui le désignèrent presque immédiatement navet de l’année. Cinq ans plus tard, l’acteur-réalisateur prouve qu’il n’en veut pas à Cannes, puisqu’il est de retour pour présenter Flag Day, d’après le récit autobiographique de la journaliste Jennifer Vogel qui y raconte ses rapports compliqués avec son père du milieu des années 70 à la date de sa mort, en 1992.
Cette problématique familiale touchante, mais classique, semble avoir éveillé suffisamment d’écho chez le réalisateur pour lui donner envie de la faire résonner avec sa propre histoire. Sa fille Dylan Penn et son fils Hopper Jack Penn interprètent donc les enfants adultes du personnage masculin qu’il a choisi d’incarner lui-même. Tout au long du récit, alors que le père ne cesse de se dérober, décevant de plus en plus profondément ses enfants, et surtout sa fille qui est en admiration devant lui, on ne peut s’empêcher de penser à ce que le film raconte en filigrane des véritables relations entre le trio d’acteurs principaux.
C’est sans doute cette double lecture sous-jacente qui explique l’extrême sensibilité dont fait preuve le film. Sean Penn s’essaye à une narration relâchée et flottante, très visuelle, qui repose beaucoup sur des images familiales tournées en super 8, et des séquences purement musicales qui constituent la bande son d’une époque. En plus de relater les errements du père, sorte de loser de moins en moins flamboyant, qui ment à sa fille pour ne pas perdre la face, sans réaliser à quel point il la blesse, Flag Day est aussi un voyage dans les souvenirs de la jeune femme, reconstitués à l’écran dans des tons fanés et des images granuleuses. On a le sentiment de plonger directement dans la mémoire de l’Amérique des années 70 et 80, en plus de celle d’une famille dont le destin est presque un cas d’école : père aux abonnés absents, mère alcoolique, difficultés financières, fille rebelle qui tombe dans la drogue…
Cette banalité apparente de l’histoire des Vogel permet à Sean Penn de l’utiliser pour parler à mots couverts de lui-même, et d’y exprimer symboliquement ses regrets. Cette sensation est renforcée par une construction en flashs-back qui retracent des étapes marquantes de la relation entre John et sa fille, alors qu’on a découvert dès la première séquence que le père est mort lors d’une course-poursuite avec la police. Dès lors, chaque plan, joyeux ou dramatique, semble égrener le compte à rebours avant la tragédie finale, mettant en lumière les moments de rupture entre les différents membres de la famille, mais aussi les très beaux et trop rares moments de douceur.
Loin d’être honteux, Flag Day garde ainsi une ligne sensible et mélodramatique qui peut avoir ses partisans. Là où ça se gâte, c’est lorsque le réalisateur se prend ostensiblement pour Terrence Malick sans en avoir le talent, et coche toutes les cases du film arty existentiel et flottant : voix-off introspective, abus de « found footage », couleurs nostalgiques, multiplication de vignettes musicales maniérées… On a le sentiment que Sean Penn tente de dissimuler l’extrême modestie de son sujet, pour ne pas dire son manque de densité, derrière une mise en scène inutilement ostentatoire – et un peu prétentieuse, qui évoque par moments un clip promotionnel pour les assurances ou les contrats obsèques. C’est donc un retour en demi-teinte pour le réalisateur, qui ne parvient pas à extraire son film d’un ronronnement certes plein de belles images, mais néanmoins anecdotique.
Fiche technique Flag day de Sean Penn (Etats-Unis, 2021) Avec Sean Penn, Dylan Penn, Hopper Jack Penn... 1h48 Sortie : 15 décembre 2021 En compétition officielle