Cannes 2021 | Les intranquilles de Joachim Lafosse,  le couple à l’épreuve de la maladie mentale

Cannes 2021 | Les intranquilles de Joachim Lafosse, le couple à l’épreuve de la maladie mentale

Joachim Lafosse aime disséquer les relations de couple et, plus généralement, interroger les mécanismes à l’oeuvre dans les rapports humains. Avec Les Intranquilles, il creuse ce sillon à travers le personnage de Damien, un peintre d’une quarantaine d’années brusquement confronté à un diagnostique de troubles psychotiques, et de sa femme Leïla qui essaye de le soutenir.

Le film est construit en trois parties qui accompagnent la déclaration de la maladie, sa rechute, puis sa convalescence. Plus que la maladie en elle-même, qui ne sera d’ailleurs identifiée qu’à la fin, c’est la manière dont elle bouleverse l’équilibre du couple qui intéresse le réalisateur. Dans un style documentaire se voulant immersif (on est littéralement avec les personnages), il nous plonge dans l’intimité de Damien et Leïla interprétés par Damien Bonnard (rarement un film aura à ce point tiré parti de son potentiel inquiétant et de ses yeux fous) et Leïla Behkti. 

La tension du film repose sur la répétition : les phrases qui reviennent en boucle (« calme toi », « repose toi »…) et les situations qui se répondent, dans une surenchère malaisante d’excentricité incontrôlable et de folie latente. Cela commence dès l’ouverture, lorsque Damien plonge dans la mer depuis son bateau avec l’idée de rentrer à la nage, et laisse son fils d’une dizaine d’années ramener seul l’embarcation à bon port. Puis il jette une petite fille toute habillée dans une piscine, se lance dans la confection frénétique d’un repas gargantuesque, passe sa nuit à réparer un solex…

Dans les premières séquences, Joachim Lafosse filme l’amour qui unit le couple. Il passe le reste du film à montrer son délitement : Leïla, contrainte d’endosser à la fois le rôle de mère, de soignante et de surveillante générale, perd peu à peu patience. Son inquiétude laisse place à l’épuisement, au ras-le-bol, puis à la colère. Un basculement s’opère d’ailleurs en cours de récit, observant, avec la même froideur clinique, les conséquences de la maladie de Damien sur son état psychique à elle. Symétriquement, la dernière partie la montre ainsi en crise, ne cessant de surveiller, interdire, réprimander, hurler et s’agiter, avec la même constance que Damien dans les parties précédentes.

On ne se sent pas qualifié pour juger du degré de réalisme qui préside à l’écriture du personnage de Damien. Il est toujours difficile de représenter la maladie mentale au cinéma, entre caricature et raccourci, approximation et facilité. En revanche, la démonstration de la contamination à l’oeuvre au sein du foyer, le diagnostic ne touchant pas seulement le patient, mais toute sa famille, est assez implacable. Même l’enfant du couple semble, à un moment, sur le point de s’abandonner lui-aussi à la fièvre paternelle. 

En cela, Les intranquilles (il faut souligner la justesse et la force du titre, tant les personnages semblent avoir perdu pour longtemps toute tranquillité d’esprit) réussit son pari de départ. Il a également le mérite d’attirer l’attention sur des questions trop souvent taboues et anxiogènes. Dommage, pourtant, qu’il le fasse avec un manque de délicatesse qui, par moments, confine à la complaisance. Deux raisons pour cela : tout d’abord une mise en scène ostentatoire, qui à force de vouloir rester au plus près des personnages, surjoue le style « caméra à l’épaule » – jusqu’à la nausée. Ensuite, une musique dégoulinante qui vient sans cesse appuyer l’émotion à grands renforts de violons sirupeux, au cas où la métaphore de la caméra hystérique n’avait pas suffi à nous faire prendre conscience du tragique de la situation. 

Il est toujours un peu embarrassant de citer les vieux dictons populaires. Toutefois, peut-être Joachim Lafosse aurait-il gagné à se souvenir que « qui peut le plus peut le moins ». Cela lui aurait évité de saborder lui-même son film par excès de zèle. 

Fiche technique
Les Intranquilles de Joachim Lafosse (France, Belgique, 2021)
Avec Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah... 1h58
Sortie : 6 octobre 2021
En compétition officielle