La Traversée de Florence Miailhe : grand-oeuvre magistral sur l’exil et les migrations

La Traversée de Florence Miailhe : grand-oeuvre magistral sur l’exil et les migrations

Film-somme sur la douleur de l’exil, le premier long métrage de la réalisatrice Florence Miailhe (Au premier dimanche d’août, Conte de quartier…) nous entraîne dans une réalité alternative (zone géographique imaginaire et époque non définie) qui ramène à la fois aux pires exactions du passé (pogroms, génocides) et aux drames les plus contemporains (passeurs, exploitation, incarcérations). Jetés sur la route par les persécutions dont est victime leur peuple, Kyona et Adriel, un frère et une soeur pré-adolescents, sont séparés de leurs parents, et contraints de cheminer seuls pour trouver refuge de l’autre côté de la frontière.

Leur voyage est construit comme un conte, durant lequel ils rencontrent tour à tour des figures d’ogres et de monstres, ou au contraire de fées et de bons génies. Chaque étape possède sa propre identité visuelle, qui accentue la beauté du film. Certains chapitres sont ainsi très colorés, presque sensuels, tandis que l’un des plus émouvants passages est au contraire dans un camaïeu de blancs et de gris, parenthèse apaisée et sensible au coeur de l’hiver et de la forêt.

La technique utilisée par Florence Miailhe, de la peinture animée directement sous la caméra, permet de donner au film à la fois la texture et les couleurs du souvenir, qui parfois se brouillent, ou au contraire embellissent la réalité. Un jeu de métamorphose d’une grande beauté qui crée ainsi des séquences oniriques dans un récit certes métaphorique, et qui laisse le pire hors champ, mais sans pour autant édulcorer la dureté de la situation et la menace permanente qui plane sur les personnages. Comme tout conte, La Traversée propose ainsi plusieurs niveaux de lecture, dont un qui renvoie très directement à une actualité dont les images hantent le film en plus de nos esprits : bateaux de réfugiés surchargés, camps de « rétention » inhumains, trafics sexuels…

Malgré tout, ce grand-oeuvre poignant se distingue par son approche nuancée et complexe, qui rejette toute idée reçue simpliste sur les migrations. Les personnages, par exemple, sont infiniment plus complexes qu’il n’y paraît au premier abord. Le monde n’est ni blanc ni noir, il est gris, déclare la patronne du cirque dans lequel trouvent momentanément refuge les deux enfants, et qui elle même oscille entre héroïsme et exploitation.

Iskander, le jeune homme qui les prend sous sa protection au début de leur périple, et dont est secrètement amoureuse Kyona, évolue lui aussi quelque part sur cette échelle de gris, se livrant à toutes sortes de transactions et de trafics pour obtenir la protection des puissants. Il est le pur produit de la situation qu’il traverse, et qui l’a définitivement transformé, pour ne pas dire abîmé.

Enfin, ce qui achève de nous bouleverser, c’est la part très intime du film. Cela passe bien sûr dans le fait de rester au plus près des personnages et d’entrer dans leur intimité, y compris dans l’évolution du personnage féminin qui traverse, en plus du continent, la frontière symbolique entre l’enfance et l’adolescence. Mais c’est aussi palpable dans le choix de rattacher le film au passé familial de Florence Miailhe, dont la grand-mère ukrainienne a fui les pogroms avec ses 10 enfants.

C’est donc la voix de la réalisatrice qui ouvre le film, interprétant avec une immense justesse et beaucoup d’émotions Kyona âgée, se souvenant de cet épisode marquant de sa vie. Dans ce que l’on devine être son atelier, le personnage feuillette un carnet de croquis qui sont ceux de la propre mère de Florence Miailhe. Par petites touches, le passé se fond alors dans le présent et la réalité dans la fiction, pour faire le lien entre ces millions de destins sans cesse rejoués, et qui se concluent tous sur la même note : l’espoir fou, durant toute une vie, de voir réapparaître ceux qui ont disparu sur les routes, ou sur les mers.

A retrouver, le making-of du film :

Fiche technique
La Traversée de Florence Miailhe (France, 2021, 1h24)
Mention spéciale du jury au Festival d'Annecy
Avec les voix de Florence Miailhe, Emilie Lan Dürr, Maxime Gémin, Arthur Pereira, Serge Avedikian...
Sortie française : 29 septembre 2021