Découvert au Festival de Cannes en 1963, où il reçut le prix du Jury, Un jour, un chat de Vojtech Jasny ressort sur les écrans – dans une version restaurée 4k – grâce aux bons soins de la société de distribution Malavida. Ce joyau de la Nouvelle vague tchèque, qui fut censuré après l’occupation de la Tchécoslovaquie par le pouvoir soviétique en 1968, est une fable malicieuse et impertinente sur le totalitarisme.
Tout commence avec Oliva, personnage énigmatique qui apparait en haut de la haute tour de l’horloge, d’où il commente l’intrigue. « Il était une fois« , commence-t-il, avant de se raviser : « sauf que ce n’est pas vraiment un conte de fées« . Il observe alors la vie de la petite ville et nous en présente nonchalamment les principaux protagonistes, entre bienveillance et humour. Cette flânerie nous conduit au sein de l’école primaire, où cohabitent (difficilement) deux caractères en tout opposés : le directeur de l’école, fonctionnaire zélé et inquisiteur, insupportable de paternalisme et de suffisance, et Robert, l’instituteur, qui prône l’humanisme, l’imagination et la fantaisie. Symboliquement, le premier aime tuer des animaux qu’il empaille pour mieux les dominer. Le second les préfère libres et vivants, en harmonie avec la nature à laquelle ils appartiennent.
Se produit alors un étrange concours de circonstance, qui introduit la dimension allégorique de ce qui ressemble malgré tout à un conte – politique plus que féérique : Oliva vient dans la classe de Robert pour servir de modèle aux élèves, et leur raconte une anecdote de sa jeunesse : sa rencontre avec une troupe de saltimbanques qui promenaient partout un chat portant des lunettes. Le chat, en effet, était capable de révéler la vraie nature des gens qu’il regardait, en les teintant d’une couleur visible de tous : rouge pour les passionnés, jaune pour les traîtres, et ainsi de suite. Or voilà qu’arrive dans la ville un magicien et sa troupe, accompagnés d’un chat portant lui aussi des lunettes…
On imagine la panique que peut susciter, au sein de n’importe quelle communauté, la présence d’un animal doué d’un tel pouvoir de révélation. Lors d’une très longue séquence hallucinée, portée par la musique habitée de Svatopluk Havelka, les masques tombent, et les couleurs se révèlent. Jasny s’extrait délibérément de tout naturalisme, étirant presque indéfiniment les scènes pour mieux montrer les chorégraphies auxquelles se livrent les habitants, certains pour dissimuler la couleur (honteuse) qui les recouvre, et les autres (les passionnés notamment) pour laisser libre cours à leur joie, comme soudain libérés des contraintes sociales habituelles. C’est un véritable vent de liberté qui souffle sur cette assemblée, un vent de révolte aussi. La reprise en mains, bien sûr, ne pouvait tarder.
Mais Jasny s’offre une autre séquence onirique, et continue de distiller, au milieu d’un propos grave et fort, une forme d’humour moqueur qui empêche la tragédie. D’ailleurs, le directeur de l’école, représentant d’une ligne officielle rigide et endoctrinée, est un fantoche minable qui tient plus à sa petite once de pouvoir qu’à ses convictions. Son assistant, le concierge obséquieux et soumis, n’est guère plus impressionnant. Au contraire, la résistance contre la répression est orchestrée par les jeunes élèves de Robert, et annonce l’espoir que représente la jeunesse, ainsi que l’idée de temps meilleurs à venir.
En pleine période communiste, il fallait oser un tel message de liberté, d’humanisme et de refus des dogmes. Plus encore, Jasny a dû faire preuve d’une solide vision artistique pour imaginer ces effets visuels baroques et ces ruptures dans le récit qui évoquent immanquablement une improvisation de jazz. L’audace formelle d’Un jour, un chat est en effet au niveau de son irrévérence politique. Pour obtenir ce subtil équilibre dans le ton comme dans le propos, le réalisateur s’est entouré des grands talents de l’époque dont Jiri Brdecka au scénario et Jaroslav Kucera aux effets spéciaux, sans parler de comédiens exceptionnels tels que Jan Werich qui incarne à la fois Oliva et le magicien (et participa aux dialogues) et Jiri Sovak qui campe un directeur très ouvertement inspiré du président de la Tchécoslovaquie de l’époque, Antonin Novotny.
Si ces références directes au contexte du tournage peuvent échapper à un spectateur d’aujourd’hui, le film n’en conserve pas moins toute son acuité et sa pertinence. Comme le souligne Diana, la maîtresse du chat prodige, toutes les époques et tous les pays peuvent avoir, à un moment ou à un autre, besoin de tels pouvoirs pour réapprendre à distinguer le vrai du faux, et se libérer des innombrables jougs qui les entravent, ou les aveuglent.
Fiche technique Un Jour, un chat de Vojtech Jasny (1963) En salle depuis le 1er décembre