Rencontre avec Isabelle Vanini, programmatrice du Carrefour de l’animation

Rencontre avec Isabelle Vanini, programmatrice du Carrefour de l’animation

Après une édition d’abord repoussée, puis finalement annulée en 2020, le Carrefour de l’animation s’apprête à souffler sa 18e bougie ce mercredi 8 décembre. Comme chaque année, l’événement phare du Forum des images propose quatre journées bien remplies à vivre “image par image”, en alternant avant-premières, rencontres, “work-in-progress” et autres séances de courts métrages. 

L’occasion de (re)voir La Traversée en présence de sa réalisatrice Florence Miailhe, de découvrir l’extraordinaire Mad God de Phil Tippet, d’entendre Alain Ughetto parler de son nouveau projet (Interdit aux chiens et aux Italiens), ou encore de se replonger dans l’animation égyptienne de patrimoine, mais aussi de vibrer en famille autour des Voisins de mes voisins sont mes voisins d’Anne-Laure Dafis et Léo Marchand ou de Princesse dragon de Jean-Jacques Denis et Anthony Roux. Impossible de ne pas trouver son bonheur dans une offre foisonnante qui met particulièrement en lumière l’animation en volume, en présence notamment de Niki Lindroth von Bahr (The Burden, Something to remember) et de Jim Capobianco (à qui l’on doit notamment le scénario de Ratatouille), et qui offre également une carte blanche à la réalisatrice Michaela Pavlatova, qui présentera son premier long métrage, Ma famille afghane.

Pour évoquer un programme qui réunit toutes les facettes de l’animation, nous avons rencontré Isabelle Vanini, l’une des programmatrices de l’événement, et spécialiste du cinéma d’animation. 

Comment est née l’idée du Carrefour de l’animation ?

Isabelle Vanini : En 1999, nous avions décidé de développer le cinéma d’animation au sein du Forum des Images, parce qu’il y avait encore peu de propositions par ailleurs. Nous avions développé “Nouvelles images du Japon” pour un public plutôt adolescent ainsi qu’un rendez-vous mensuel avec de grands auteurs du cinéma d’animation qui présentaient des courts métrages les ayant influencés ainsi que leur propre travail. Quelques années après, nous nous sommes dits qu’il manquait un troisième pilier : celui de la jeune création, déjà très foisonnante, et donc des écoles d’animation. C’est ainsi qu’est né le Carrefour du cinéma d’animation. Il faut s’en souvenir, à l’époque c’était presque un salon des écoles. Les écoles avaient des stands, les jeunes pouvaient venir se renseigner. On présentait les films de fin d’études, certaines équipes proposaient des making-off.

Ça s’est bien étoffé avec les années…

IV : Petit à petit, nous avons invité un grand réalisateur, développé une thématique… À un moment donné, nous avons arrêté « Nouvelles images du Japon » car le mouvement était enclenché et on commençait à voir ces films un peu partout. Nous avons aussi fait une pause pour le rendez-vous cinéma d’animation. Par ailleurs, les écoles d’animation avaient moins besoin d’être mises en avant.  Nous avons donc décidé d’élargir le Carrefour pour en faire un festival d’animation plus important, avec des avant-premières de longs métrages, un panorama des films d’école, une mise en avant du court métrage professionnel. Nous avons bien sûr gardé le “cadavre exquis” [NDLR : un film réalisé par des groupes d’étudiants sur ce principe surréaliste, à partir d’un dessin proposé par le parrain ou la marraine de l’édition. Il s’agit cette année de Florence Miailhe] qui permet de faire venir les étudiants et de montrer au grand public comment on fait un film d’animation. Nous avons ensuite développé « Politique et animation », pour montrer que l’animation peut aussi parler de l’état du monde, puis les work-in-progress se sont développés. Tout cela constitue un festival d’animation classique, non compétitif, avec de grands invités. Nous en sommes à la 18e année, beaucoup de gens nous sont fidèles, certains nous proposent spontanément leurs films ou des événements. Les producteurs et les auteurs que l’on suit depuis leurs débuts aiment bien faire la première de leurs films ici, ou venir avec des « work-in-progress ». 

Comment se construit le programme ? 

IV : Il y a parfois des opportunités. Par exemple, nous savions que le réalisateur Tomm Moore [Le chant de la mer, Le Peuple loup] serait à Paris en décembre et que Jim Capobianco, que l’on avait invité l’an dernier, serait également en France pour enregistrer les voix de son long métrage The Inventor. Or ils travaillent ensemble mais se connaissent uniquement par visio-conférence, ils ne se sont jamais rencontrés ! C’était donc une formidable occasion de les réunir. Foliascope [qui produit The Inventor] nous a proposé de faire également intervenir Pierre-Luc Granjon [Le loup blanc, La Grosse bête] qui travaille lui aussi sur le projet. C’est comme cela que nous avons eu l’idée de proposer une grande discussion entre ces trois réalisateurs.

Par ailleurs, il y avait cette année toute une dynamique autour de l’animation en volume avec The Inventor, Séraphine de Sarah van den Boom, Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto, qui sont des longs métrages très attendus. Nous pensions que ce serait intéressant d’avoir une invitée spécialiste de cette technique. Nous avons eu l’idée d’inviter Niki Lindroth von Bahr qui travaille sur la série The House de Netflix, et qui est très connue dans le monde du court métrage. 

C’est une édition où nous avons réussi à avoir beaucoup de films différents comme Les Voisins de mes voisins sont mes voisins de Anne-Laure Dafis et Léo Marchand, qui sort en février, mais aussi le film philippin Hayop Ka ! d’Avid Liongoren ou Cryptozoo de Dash Shaw que peu de gens ont vu. J’essaye toujours d’être attentive aux films qui ne vont pas sortir et qu’il peut être intéressant de montrer quand même, voire d’aider à trouver un distributeur, comme pour True North d’Eiji Han Shimizu que nous avons fait sous-titrer en français pour le Carrefour. Nous essayons aussi d’avoir un rôle de défricheurs. Nous sommes des passeurs : quand on défend un film, nous essayons de le soutenir au maximum. 

Niki Lindroth von Bahr

Quelle évolution voyez-vous depuis les débuts du Carrefour ?

IV : Je vois une évolution des films d’école. Il y a un foisonnement d’écoles, et les films eux-mêmes sont d’un niveau de plus en plus élevé. Certains sortent même en salle. Quatre séances de panorama ne suffisent plus… Nous devons faire une sélection vraiment drastique ! Mais c’est vrai que l’évolution la plus flagrante, c’est dans le domaine du long métrage. Et c’est encore plus évident dans le cas du long métrage d’animation pour adultes où il y a une matière incroyable. En 2011, j’avais organisé un gros événement autour de “documentaire et animation’, et on voit désormais qu’on pourrait faire presque un festival chaque année sur cette thématique.

Comment cela peut-il s’expliquer ? 

IV : De plus en plus de réalisateurs découvrent tout ce que permet l’animation, y compris des réalisateurs de prise de vues réelles. Ils réalisent qu’avec l’animation, on peut combler l’image manquante, aller vers une tonalité plus poétique, ou évoquer des choses que l’on ne peut pas représenter. On le voit d’ailleurs au Cartoon Movie [forum professionnel de coproduction à destination du long métrage animé] : les jeunes auteurs commencent à proposer du long métrage de plus en plus tôt. Je pense à Ugo Bienvenue, Sarah van den Boom, Jérémie Périn… qui se lancent dans le long métrage plus tôt que leurs aînées Florence Miailhe ou Michaela Pavlatova. Par ailleurs, il y a de nouveaux outils, les budgets sont moins élevés, il est possible de faire des coproductions… 

Les Voisins de mes voisins sont mes voisins

Malheureusement, les chiffres de fréquentation ne sont pas toujours à la hauteur de ce qu’on espère. Le risque est que l’on redevienne frileux au niveau de la production, qu’on se dise qu’il n’y a pas la place pour autant de films. C’est pour cela que nous devons les accompagner au maximum pour montrer qu’ils existent et qu’il faut continuer sur cette lancée. 

On peut dire que c’est l’un des enjeux majeurs de l’animation aujourd’hui ?

IV : C’est une question sur laquelle je travaille depuis des années. Avec l’AFCA [Association française du cinéma d’animation], nous essayons de créer un système de labellisation et d’accompagnement des longs métrages plutôt ado-adultes. L’enjeu est de ne pas rater ces grosses sorties de films d’animation. Il faut que cela rentre dans les mœurs, que le grand public aille voir ces films comme il va voir des films labellisés art et essai en prises de vues continues. Il y a de la pédagogie à faire auprès du public ainsi qu’un travail avec les exploitants.

Régulièrement, il y a des projets qu’on accompagne et qu’on attend, qui sont formidables, et qui ne trouvent pas le public escompté. Bon, en ce moment, il se trouve que peu de films trouvent leur public… Il faut revoir d’où on part ! Produire moins cher est aussi une solution, parce que lorsque les budgets sont trop élevés, il faut des chiffres faramineux pour les rentabiliser. C’est ce qu’essayent de faire certaines sociétés de production, comme Special Touch Studios de Sébastien Onomo, tout en gardant une ligne artistique forte. 

Carrefour du Cinéma d'animation
18e édition 
Du 8 au 12 décembre 2021
Au Forum des Images
Informations et programme