Cannes 2022 |  du court au long, 5 films de réalisateurs présents sur la Croisette cette année

Cannes 2022 | du court au long, 5 films de réalisateurs présents sur la Croisette cette année

Si Cannes a ses habitués (coucou les frères Dardenne !), c’est aussi un lieu formidable pour découvrir des premiers longs métrages. Ces derniers sont abusivement nommés « premiers films », puisqu’ils sont souvent dans le prolongement de courts repérés sur la Croisette ou ailleurs, et dans lesquels se trouvaient parfois en germes toutes les qualités que l’on aime dans leurs oeuvres suivantes. Petit tour d’horizon de cinq films courts qui annonçaient les longs présentés cette année sur la Croisette.

Champ de vipères de Cristèle Alves Meira

On peut déceler dans Champ de vipère une partie du cinéma envoutant de Cristèle Alves Meira : une écriture sèche et elliptique, un goût pour le réalisme-magique, des acteurs et surtout des actrices d’une fulgurante justesse. Le court métrage, révélé à la Semaine de la Critique, se déroule l’été, dans un petit village du nord-est du Portugal. Il commence par une énigme et s’achève sur un mystère : une vieille dame est retrouvée morte, sa fille a disparu. Les habitants glosent sur ces événements, dont on découvre quelques bribes, sans pour autant qu’ils se livrent totalement. Les principales comédiennes (Ana Padrão, Sonia Martins, Jacqueline Corado) reprennent leur rôle dans le premier long métrage de la réalisatrice, Alma Viva, aux côtés d’un autre comédien découvert dans son film Invisivel Hero, Duarte Pina, et de la propre fille de Cristèle Alves Meira, Lua Michel, qui interprète le personnage principal. Le film est également tourné au même endroit, dans le village de la grand mère maternelle de la réalisatrice. On sent ainsi une véritable continuité dans l’oeuvre de la réalisatrice, mais aussi une notion de troupe et de souvenirs autobiographiques qui cadrent avec la tonalité familiale du récit, entre transmission, croyances ancestrales et émancipation féminine.

Chasse royale de Lise Akoka et Romane Gueret

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Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2016, Chasse royale est un film bourré d’énergie, au plus proche d’un tournage naturaliste et documentaire. Sur l’idée d’un casting sauvage en banlieue de Valenciennes (inspiré d’une expérience réelle), les deux réalisatrices brossent le beau portrait  d’une adolescente bien ancrée dans son époque et de son petit frère rêveur. La jeune fille semble être l’héroïne de l’histoire, mais c’est lui qui emporte la mise, tant le récit est peu à peu raconté principalement à travers son regard. Six ans après, le duo Lise Akoka et Romane Gueret revient avec Les Pires, présenté à Un Certain regard, commence lui-aussi avec un casting. A la cité Picasso de Boulogne-sur-Mer, 4 adolescents sont choisis pour jouer dans un film, alors que tout le monde s’interroge : pourquoi eux ?

Damiana de Andres Ramirez Pulido

Andres Ramirez Pulido a connu les honneurs d’une sélection à Berlin en 2016 avec Eden, puis à Cannes en 2017 avec Damiana, les deux films annonçant les thèmes et le style de son premier long, La Jauria. Dans Damiana, des jeunes filles évoluent dans une sorte de prison ouverte dans la jungle. On les exhorte à se repentir de leurs fautes et à prendre un nouveau départ dans la vie. Dans Eden, deux adolescents désoeuvrés s’introduisent dans une station thermale abandonnée au milieu de la nature, et cherchent à en percer les secrets. Les deux films ont en commun une écriture elliptique et des plans à la composition ultra-soignée qui immerge sans cesse ses personnages dans la nature. Les premières images de La Jauria laissent espérer une même réussite visuelle. On sait également qu’il développe également les questions d’abandon (par la société comme par la cellule familiale et plus précisément la figure paternelle), de violence et de rédemption.

Gros chagrin de Céline Devaux

Récompensé d’un lion d’or en 2017, Gros chagrin est le récit d’une rupture amoureuse qui oscille entre humour façon comédie sentimentale et amertume déchirante inspirée des plus grands drames amoureux. Réalisé à la fois en prise de vues réelles et en animation, il dit ces petites choses qui président à la séparation, ces signes annonciateurs que l’on refuse de voir, ces maladresses qui nous échappent, ce mécanisme irréversible qui se met en route, et la lâcheté, la fausse indifférence, les défis bravaches. Avant le vide au goût d’éternité, les regrets et les souvenirs qui reviennent précisément quand on voudrait tout oublier. Céline Devaux reste visuellement dans le style qui était le sien à l’époque du Déjeuner dominical, et sans doute était-ce le plus gros reproche qu’on pouvait faire à Gros chagrin : son utilisation de l’écran d’épingles (inventé par Alexandre Alexeïeff et Claire Parker dans les années 30 afin de se rapprocher au plus près de l’esthétique de la gravure en aquatinte) qui ne prend jamais vraiment l’ampleur que l’on pourrait attendre, comme si elle l’utilisait a minima, pour reproduire ce qu’elle savait déjà faire, et non pour ses propriétés délicates et particulières. On imagine toutefois parfaitement la transposition de cet univers doux amer dans son premier long métrage, Tout le monde aime Jeanne, dans lequel l’animation occupe là aussi une place centrale dans l’intrigue.

Le Tigre de Mikko Myllylahti

C’est véritablement un tigre qui est le personnage principal du court métrage du même nom de Mikko Myllylahti : ou en tout cas un adolescent engoncé, au sens propre, dans un magnifique costume de tigre bleu et blanc au regard énigmatique, et qui assiste à une scène violente entre ses parents. La fluidité impeccable de la mise en scène, ajoutée à la tonalité volontairement étrange du récit, qui joue du côté flottant de ses situations, donne à cette forme de coming of age presque banale une ampleur et une profondeur inattendue. Les questions sont ici plus nombreuses que les réponses, se bousculant dans la tête du personnage comme de tous les jeunes gens de son âge, et même de ceux qui n’en finissent plus d’éprouver les affres du doute, de l’incertitude et de l’âge adulte. Quatre ans après seulement cette fable singulière, le réalisateur finlandais (scénariste récompensé de L’Homme qui sourit de son compatriote Juho Kuosmanen) propose son premier long métrage, The Woodcutter Story, à la Semaine de la Critique.