C’est quoi un joli petit film ? Réponse en 100 minutes avec L’Envol de Pietro Marcello, drame plus romantique qu’historique, présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs.
« Tu aurais dû mourir à la guerre ! »
Quelque part en France, Raphaël, un soldat rescapé de la Première Guerre mondiale, rentre du front pour retrouver sa fille Juliette après la mort de sa mère Marie. Passionnée par le chant et la musique, la jeune fille croise la route d’une sorcière qui lui promet que des voiles écarlates viendront un jour l’emmener loin de son village.
Dès les premières minutes, Pietro Marcello (Futura, Martin Eden) donne le ton. Son film est certes voué à s’intéresser au parcours de la jeune Juliette, cela ne peut se faire sans comprendre son histoire familiale. Un père absent car au combat, une mère d’une gentillesse folle. Et cette enfant dont l’origine est questionnée en raison du viol qu’aurait subi Marie.
Parce que l’histoire se passe dans un petit village — que l’on soupçonne de se situer dans le Nord de la France —, les rumeurs vont bon train. Raphaël serait un type cocu… Il entretiendrait une relation avec Adeline, la femme qui employait Marie et dont le mari n’est plus là… Quant à Juliette, si elle est différente des autres enfants de son âge, c’est parce qu’il s’agirait d’une sorcière… Ambiance !
Mais là où L’Envol s’émancipe de son statut de drame historique, c’est sans surprise sur le plan des émotions. Car celles-ci ne sont jamais vraiment loin du fabuleux trio formé par Raphaël (Raphaël Thiéry), Juliette (Juliette Jouan) et Adeline (Noémie Lvovsky). Sans être un film sur la pauvreté ou la précarité dans le milieu rural, L’Envol fait de la condition de ses protagonistes un argument pour vouloir plus. Ou du moins, espérer mieux, pour eux comme pour les autres.
La prophétie de trop ?
Niais pour certains, charmant pour d’autres, L’Envol n’échappe pas à certains écueils propres aux drames romantiques. A savoir une forme de lenteur (quand il y en a une) dans l’évolution des personnages, la mort comme faux symbole d’un changement et une poésie parfois surannée. Néanmoins, L’Envol ravit par son esthétique. A la fois naturaliste et réaliste, la photographie est sensible, idéale.
Pas étonnant dès lors que la sorcière incarnée Yolande Moreau s’intègre parfaitement dans la nature, quitte à presque y disparaître, comme le faisait déjà Brenda Fricker, la femme aux pigeons presque imperceptible dans Maman j’ai encore raté l’avion ! Idem pour Jean, le pilote/l’aventurier qui va devenir le love interest de Juliette et semble tout droit sorti d’un roman de Jules Verne. Il est d’ailleurs incarné par un Louis Garrel égale à lui-même : espiègle et attendrissant.
En plus d’être un joli et plaisant film d’apprentissage, L’Envol se permet ici et là quelques réflexions bien senties sur la condition de la femme à l’époque et sur la valeur de ses rêves. Car au-delà du deuil, Pietro Marcello explore avec sérieux et parfois un peu de noirceur la complexité du sentiment amoureux et des ailes que celui-ci fait naître en chacun — et donc parfois aux mauvaises personnes.
Voilà donc un film qui va diviser, tant sur la forme que sur le fond, mais dont on ne ressort pas indifférent. Si tant est que l’on se laisse aller pendant 100 minutes à rêver d’un ailleurs, avec des personnages d’un autre temps.
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs 2022 Réalisatrice : Pietro Marcello Avec : Juliette Jouan, Louis Garrel, Noémie Lvovsky, Raphaël Thiéry Durée : 1h 40min