Cannes 2022 | Crimes of the future de David Cronenberg, dans les entrailles de la création

Cannes 2022 | Crimes of the future de David Cronenberg, dans les entrailles de la création

Bienvenue dans le futur selon David Cronenberg ! 21 ans après Existenz, le réalisateur renoue avec la science-fiction et le body-horror en imaginant une société dans laquelle le corps humain connaît une évolution fulgurante et inexpliquée. De nouveaux organes autonomes « poussent » à l’intérieur des corps, amenant le gouvernement à en tenir le registre. En parallèle, des « performances » artistiques montrent des individus modifiés (l’un d’entre eux a les yeux et la bouches littéralement cousus, mais possède des dizaines d’oreilles) ou des opérations de « chirurgie esthétique » postmoderne consistant à se taillader la peau du visage ou du corps. L’artiste Saul Tenser, lui, s’exhibe lors de l’ablation de ses organes « mutants » tatoués par son associée Caprice. 

Pour parachever le tableau de cet avenir pas franchement joyeux, le film – qui n’est pas du tout un remake de celui du même nom qu’il avait réalisé en 1970 -se passe presque exclusivement dans des intérieurs sombres et dépouillés, à mi-chemin entre le bunker désaffecté et le parking souterrain, ou dans des rues mal éclairées et presque désertes. On est loin de la civilisation moderne et high-tech de la plupart des oeuvres de science-fiction contemporaines, pour flirter plutôt avec un aspect rudimentaire très post-apocalyptique. Car si la technologie est bien présente sous la forme de meubles connectés personnalisés, ceux-ci ont une apparence organique presque primitive, comme s’ils ne faisaient que participer de cette mutation globale des êtres.

Le cinéaste crée ainsi un univers relativement cohérent (bien qu’un peu théorique, car en dehors de ces quelques éléments, on ne sait – et voit – finalement rien d’autre des rouages de cette société) dans lequel une Humanité en bout de course essaye de composer avec les dérèglements qu’elle a elle-même provoqués. Il nous plonge alors dans une sorte de polar lent, particulièrement cérébral, dans lequel ce sont les dialogues, et non l’action (par ailleurs quasi inexistante), qui font avancer l’intrigue.

Le film hésite entre une enquête (extrêmement ténue) sur le meurtre brutal d’un enfant et une réflexion plus générale sur la manière dont pourrait évoluer l’être humain. Si la notion de corps augmenté ou d’hybridation homme-machine n’est plus de la fiction, Cronenberg imagine un phénomène plus « naturel », énième adaptation de l’espèce à ses nouvelles conditions de vie, dont on ignore quelle prise les individus ont sur elle. Le personnage de Saul Tenser, qui utilise en effet ces excroissances générées par son propre corps au service de son art, semble notamment être capable de les contrôler. D’autres ont choisi une « reconfiguration » complète de leur organisme.

David Cronenberg revient sur des thématiques constantes dans son cinéma, comme un mélange soft et crépusculaire entre Crash et Existenz. Car au-delà des questions biologiques et existentielles que posent ces mutations humaines, il pousse à son paroxysme la notion d’art corporel (ne faisant au fond qu’extrapoler à partir de pratiques existantes) et explore l’aspect éminemment érotique de ces performances, considérées comme le « nouveau sexe », et filmées comme telles par le réalisateur. Il invente également la notion de beauté intérieure au sens propre du terme impliquant non pas l’esprit, mais les entrailles.

Malheureusement, il faut avouer qu’au bout de presque 2h à ce régime, on n’est pas trop sûr de comprendre où il veut en venir précisément, surtout qu’il semble abandonner certaines pistes et personnages en cours de route, et parfois se perdre dans d’interminables dialogues théoriques. Même son idée d’une Humanité s’adaptant naturellement à vivre sur une planète polluée ressemble plus à un pied de nez qu’à une véritable réflexion sur les conditions de notre survie, et l’absolue nécessité de sauvegarder ce qui peut encore l’être.

David Cronenberg s’est beaucoup répandu dans la presse sur les aspects « choc » de son film, annonçant que certains spectateurs risquaient de sortir dès la fin de la première scène. Peut-être cela explique-t-il la sensation ambivalente que l’on éprouve face au film, qui se repose trop ouvertement sur cette dimension, sans pour autant aller suffisamment loin dans la provocation pour éclipser ses faiblesses.

Fiche technique
Crimes of the future de David Cronenberg (Canada, 2022, 1h47)
Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart...
En compétition
Sortie nationale : 25 mai 2022