Après avoir connu les honneurs d’une sélection à Berlin en 2016 avec son court métrage Eden, puis à Cannes en 2017 avec Damiana, Andres Ramirez Pulido présentait La Jauria en compétition à la Semaine de la Critique, où le jury présidé par Kaouther Ben Hania lui a décerné le grand prix. Il est frappant de constater à quel point les oeuvres précédentes du cinéaste colombien annonçaient les thèmes et le style de ce premier long extrêmement maîtrisé.
Ainsi, dans Damiana, des jeunes filles évoluent dans une sorte de prison ouverte dans la jungle. On les exhorte à se repentir de leurs fautes et à prendre un nouveau départ dans la vie. Dans Eden, deux adolescents désoeuvrés s’introduisent dans une station thermale abandonnée au milieu de la nature, et cherchent à en percer les secrets. Les deux films brillent par une écriture elliptique et des plans à la composition ultra-soignée qui immergent sans cesse les personnages dans la nature, et l’on retrouve ces aspects esthétiques dans La Jauria, qui prolonge également certains thèmes abordés auparavant comme le lien à la nature, l’emprisonnement et les difficultés de la jeunesse.
L’histoire se déroule à nouveau au coeur d’une prison ouverte dans la forêt tropicale colombienne. Les adolescents qui y sont incarcérés, pour des faits graves, alternent travaux physiques et séances collectives de thérapie. On y suit notamment Eliú, qui a commis un meurtre avec son ami El Mono, et tente de se racheter.
En restant le plus possible à la hauteur de ses personnages, le film nous plonge dans leur quotidien, et évite toute complaisance misérabiliste. Il nous montre au contraire des moments plus apaisés dans une nature luxuriante, et s’éloigne des stéréotypes attendus en révélant peu à peu les failles et les traumatismes de chacun, adolescents comme adultes chargés de les encadrer. Andres Ramirez Pulido, qui a travaillé avec des jeunes placés en centres de détention, s’est nourri de leur expérience pour nourrir son récit, et l’on sent une forme d’authenticité dans sa manière de traiter les différents protagonistes.
Par ailleurs, le réalisateur met son langage cinématographique extrêmement sensoriel au service de la dimension quasi mystique de son récit : sens du cadre, composition ultra-soignée des plans, recours à de fréquentes ellipses, nappes de musique planantes… tout concourt à nous sortir du naturalisme ambiant pour aller vers une atmosphère plus ambivalente. La rudesse de l’environnement, et la violence qui s’y exerce, n’empêchent en effet pas une forme de douceur et d’espoir, la confiance réaffirmée dans la capacité d’évolution et de rédemption des personnages. On sent, à chaque plan, s’exercer la sensibilité complexe du regard porté sur eux, et le désir de sublimer par le réalisme magique des destins qui, dans la réalité, peinent plus difficilement à s’extraire d’une forme de déterminisme social et politique.
Fiche technique L'Eden (ex La Jauria) de Andrés Ramírez Pulido (Colombie, France, 2022) Avec Jhojan Estiven Jimenez, Maicol Andrés Jimenez, Miguel Viera, Diego Rincon, Carlos Steven Blanco… 1h26 Sortie française : 22 mars 2023