L’innocent, comédie détonnante portée par un parfait quatuor de pieds nickelés

L’innocent, comédie détonnante portée par un parfait quatuor de pieds nickelés

Quatrième long métrage réalisé par Louis Garrel, acteur omniprésent sur nos écrans (douze films tournés depuis 2020!), L’Innocent est de loin son film le plus abouti, s’éloignant de l’ombre tutélaire de son père, le cinéaste Philippe Garrel, pour rempreinter, enfin, son propre chemin.

On avait déjà eu un bel aperçu de son talent dans le registre de la comédie humaine avec La croisade, projeté à Cannes hors-compétition en 2021, mélange de chronique familiale et de tract écologique où les enfants prenaient le pouvoir sur les parents. Avec L’innocent, lui aussi passé par la case cannoise, il passe un cap et signe son meilleur film. La comédie, teintée de social, est assumée, et le scénario complètement abouti. S’il reprend ses marottes (amitié, famille recomposée, amours contrariés), il les déporte sur un terrain plus romanesque et tout aussi personnel.

Anouk Grimberg

Pour cela, il s’est inspiré de la vie de sa mère, l’actrice Brigitte Sy, enseignante de théâtre dans les prisons où elle a monté des spectacles, et tombée amoureuse d’un ex-détenu qu’elle a épousé. Autrement dit la base de son scénario, avec Anouk Grimberg (que ça fait plaisir de revoir cette fantastique comédienne!) et Roschdy Zem pour incarner ce couple improbable mais si vrai. De là, il a tissé deux autres histoires qui s’entremêlent : une relation ambivalente qui ne dit pas son nom entre un jeune veuf et la meilleure amie de sa défunte femme (Noémie Merlant très à l’aise dans la légèreté), et un braquage rocambolesque (rien que l’idée de voler du caviar est foldingue) qui va lever tous les masques et contraindre chacun à exprimer sa vérité dans l’urgence.

Le rythme est enlevé, les comédiens parfaits, la mise en scène efficace et sobre, toujours à l’affût pour transformer les imbroglios en situations burlesques. Il y a du Philippe De Broca et du Blake Edwards dans cette fuite en avant où chacun tente de se libérer d’un passé comme on cherche à se débarasser d’un boulet. C’est l’espoir qui les guide dans cet « After Hours » lyonnais, sorte de polar barré et de comédie romantique foutraque sous ses airs de film de casse. Garrel cinéaste ne s’embarasse pas de fioritures ou d’artifices. Il filme librement ce quatuor névrosé, maladroit avec les sentiments, déjanté parfois, aspirant au bonheur et espérant du changement. Les personnages ont suffisamment de sincérité et de dignité pour être empathiques et sympathiques. Cela ne les empêche pas de partir en vrille, pas loin d’une forme de folie destructrice pour un couple, reconstructrice pour l’autre.

Louis Garrel et Noémie Merlant

Car rien ne se passera comme prévu tant le plan est foireux de bout en bout, mais, pourtant, cela ne se finira pas mal. Louis Garrel, poussé dans son élan, s’autorise des ruptures musicales (faisant revivre des tubes eighties oubliés mais mémorables), des clins d’oeil référencés, des scènes absurdes et hilarantes, et même de l’action. Mais il n’oublie jamais de se focaliser sur les caractères contrastés, les émotions mouvantes, les envies contradictoires de ses personnages. Car derrière toute cette virée haletante où chacun cherche sa place (et un sens à son existence), L’innocent déborde d’amour. De cet amour qui essaie de s’affranchir des conventions, conflits et carcans sociétaux : une mère célibataire et fofolle pour son fils bien trop sage et bien trop triste, une femme fragile et un prisonnier, un veuf et une amie qui partagent leur douleur et leurs souvenirs d’une femme qu’ils aimaient tant, cette même amie qui n’ose révéler son amour pour ce veuf…

Louis Garrel, Roschdy Zem et Noémie Merlant

Si le braquage semble amateur et incertain, les relations humaines en sortent grandies quoiqu’il arrive. Louis Garrel nous régale avec ce tourbillon de la vie et de l’amour, aussi vif que généreux, si humain et si drôle. Il le doit beaucoup à un scénario aussi bien construit que resserré, des acteurs et actrices en zone de confort pour s’épanouir en toute liberté et une réalisation qui ne perd jamais son objectif : nous faire aimer ces âmes cassées malgré leur souffrance intime. Comme pour tous ses autres films, Louis Garrel joue les apôtres de la reconstruction personnelle… Quitte à passer par la case prison. Mais, pour le coup, le réalisateur, très inspiré, ne s’est pas emprisonné dans un style. Il a choisi l’envol, et nous a embarqués avec un grand sourire vers un cinéma fin et aérien. Bref, du caviar!