Rencontre avec Marie-France Aubert, la nouvelle directrice artistique du Festival international du Film d’Amiens

Rencontre avec Marie-France Aubert, la nouvelle directrice artistique du Festival international du Film d’Amiens

Le Festival international du Film d’Amiens, qui s’achève samedi, a fait pour sa 42e édition la part belle au cinéma documentaire, au continent africain, aux archives et aux « robes à paillettes », des Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy aux Lèvres rouges de Harry Kümel, mais aussi aux échanges, aux rencontres, et aux croisements entre les disciplines artistiques. Sa nouvelle directrice artistique Marie-France Aubert revient sur une programmation à l’impressionnante cohérence, forte d’une contemporanéité thématique comme formelle, et traversée par les échos du monde.

Ecran noir / Quelles étaient vos envies pour cette 42e édition du FIFAM, la première pour vous en tant que directrice artistique ?

Marie-France Aubert : Lorsque j’ai candidaté pour ce poste, j’ai tout de suite dit que j’avais envie de mettre en place des partenariats avec les structures et associations culturelles locales. Je ne connaissais pas Amiens, je n’y étais venue qu’une fois, mais j’ai fait des recherches sur la ville et j’ai vu qu’il se passait énormément de choses. C’est un terreau et une ébullition qui ne peuvent que porter le festival et lui apporter de belles choses. Pour les autres festivals sur lesquels je travaille à côté comme Seytou Africa, le festival de documentaires africains, ou le Festival de films dansés Enlève tes chaussons rouges, j’ai toujours cherché à croiser les disciplines. C’est-à-dire inviter par exemple des comédien·ne·s, des conteurs-conteuses, des musicien·ne·s, pour faire un bel écrin aux films, mais aussi parce que le cinéma puise dans de nombreux arts différents et que c’est intéressant de les convoquer pour aiguiser le regard et proposer des présentations plus joyeuses et dynamiques. D’où l’idée de proposer une performance de cirque, les comédiens qui se mettent à improviser, l’envie de convoquer la BD ou de faire appel à la maison de l’architecture… En tant qu’amiénoise maintenant, je suis assez éblouie par tout ce qui se passe dans cette ville. Je découvre sans cesse de nouvelles choses. C’était assez beau de créer des ponts entre les arts et en même temps avec des gens qui ont été très accueillants et stimulants dans nos échanges. Je souhaitais aussi creuser le travail avec les étudiant·e·s qui existait déjà depuis longtemps. J’avais envie d’une programmation diversifiée, et de revenir aux cinémas d’Afrique car c’est l’histoire du FIFAM, et c’est aussi ce qui m’a donné envie de rejoindre l’équipe. Ce sont des cinématographies que j’ai creusées avec mon festival. Je voulais aussi quelque chose d’exigeant en terme de cinéphilie mais aussi d’inclusif, ouvert au plus de publics possibles, même si cela n’est pas forcément simple.

EN / Comment définiriez-vous les enjeux d’un festival de cinéma en 2022 ?

MFA : Je viens de la distribution. Je connais assez bien l’état dans lequel sont les salles et l’exploitation aujourd’hui. Il y a un vrai problème. C’est sûr que le Covid n’a pas aidé, mais c’était déjà comme ça depuis longtemps. Beaucoup de gens restent figés dans les anciens réflexes et les anciennes manières de fonctionner. Ce n’est pas le cas de tout le monde : beaucoup inventent aussi des choses, mais ils s’épuisent à le faire car ils ne sont pas assez aidés. Des aides devraient être adaptées à ce qu’il faut faire dans les salles aujourd’hui pour qu’elles vivent bien. il y a des salles qui sont très vivantes et qui font plein de choses, et où il y a du monde ! Je crois au fait que les gens ont toujours envie de voir des films, d’aller en salles. Mais ce sont d’autres habitudes, d’autres manières de fonctionner. Il faut s’adapter à ça. Ça ne veut pas dire que ce sera moins bien, moins intéressant, moins joyeux, moins exigeant…

Aujourd’hui, les films sont vite évacués des salles parce qu’on cède tous aux demandes des grosses boites de distribution qui imposent leurs conditions, les films un peu alternatifs sont écrasés et peu visibles. Mais je ne pense pas pour autant, comme on l’entend souvent, qu’il y a trop de films. Il faut arrêter de dire ça. Heureusement qu’on peut produire et montrer beaucoup de films ! Et justement, les festivals ont les moyens d’être dans un à-côté par rapport à cet « embouteillage » (qui encore une fois n’est pas dû au nombre de films mais à la manière dont on les montre et dont on les sort et les « exploite »). Ils permettent de prendre le temps. De donner un éclairage et un écrin à chacun des films. On peut montrer des films invisibilisés et les mettre réellement en valeur. Après le Covid, les gens ont aussi besoin de rencontres et de débats, et le festival permet également ces échanges.

EN / On sent dans la programmation de cette année une sorte de fil rouge qui serait à la fois l’extrême contemporanéité des films, dans leurs sujets comme dans leur forme, et la question d’un point de vue qui est toujours légitime, à la bonne distance. Les oeuvres, qu’elles soient longues ou courtes, de fiction ou documentaire, récentes ou de patrimoine, dressent les contours de notre époque, ravivent des mémoires cachées ou tues, mais ne le font jamais dans une démarche didactique ou purement informative. Pour le résumer un peu simplement, il y a toujours une recherche et une réflexion cinématographiques derrière les sujets traités.

MFA : On est dans une époque difficile, et c’est important de s’y confronter, mais nous avons besoin d’être stimulés et enrichis par ce que les films peuvent nous apporter, y compris quand c’est douloureux. Par exemple pour la section ArchiVives, les archives peuvent évoquer quelque chose d’un peu passéiste, mais je voulais justement montrer que de très jeunes cinéastes s’emparent de ces archives pour tenir un discours qui résonne vraiment avec notre actualité et pour offrir une réflexion en accord avec notre époque, tout en déconstruisant notre histoire et notre passé. Dans la programmation « robe à paillettes » j’ai voulu montrer des films de patrimoine qui ont une forme à eux et s’inscrivent dans leur époque, et qui en même temps secouent encore aujourd’hui, qui apportent encore une réflexion, de la joie. Pour Freak Orlando par exemple [NDLR : une adaptation queer, irrévérencieuse et punk du roman Orlando de Virginia Wolf par la cinéaste allemande Ulrike Ottinger en 1981], les gens étaient saisis. C’est beau de montrer des films des années 70-80 qui peuvent encore avoir cet effet, et apporter une réflexion qui est toujours valable !

Freak Orlando de Ulrike Ottinger

EN / On sent également les différentes sélections traversées par une forme d’engagement et de militantisme là encore très en phase avec notre époque !

MFA : Je suis quelqu’un qui est traversée par son époque, donc cela me semble logique d’avoir envie de donner la parole à des penseurs-penseuses, artistes d’aujourd’hui. Beaucoup de choses se passent en ce moment en terme de militantisme. Je suis entourée de gens qui s’inscrivent totalement dans ces mouvements. Ce sont des mouvements qui me font personnellement du bien, et qui font du bien à plein de gens car ils permettent de libérer la parole, de se sentir plus légitime, plus visible. C’est important de montrer cette émulation-là. Il y a tant de tentatives de l’étouffer, de la dévaloriser, de s’en moquer ou de dire que ce sont des effets de mode… alors que c’est tellement salvateur !

EN / On est très loin de ce que l’on nomme un peu grossièrement les « films à sujet »…

MFA : J’aime beaucoup le documentaire, et je veux justement sortir de cette idée du documentaire à sujet, ou du documentaire comme support de débat. Certes, c’est une part importante de la production, et elle est nécessaire. C’est aussi ce qui rend le documentaire visible. Mais pour moi, le documentaire, c’est profondément du cinéma. Ce sont des gestes de cinéma, et j’avais besoin de montrer que ces films peuvent avoir une réflexion et une résonance à travers les images, à travers une esthétique et des choix de mise en scène. Il y a beaucoup de luttes qui se croisent et qui me semblent importantes. J’ai eu envie qu’elles se croisent aussi dans la programmation, que les films se fassent écho et dialoguent politiquement. J’avais aussi envie de partager ce qui me touche en tant que spectatrice et cinéphile. 

Nous, étudiants de Rafiki Fariala 

Par exemple, dans la compétition, il y a des propositions extrêmement différentes, mais on retrouve les mêmes envies de manier les genres, de croiser les champs du documentaire et de la fiction et de jouer de ces frontières-là. Il y a aussi un regard animiste ou animaliste assez fort, le besoin de montrer les communautés Queer, de réfléchir aux néocolonialismes. Et puis de nombreux thème relient la jeunesse internationale, tout en gardant des points de vue et des styles différents, avec des propositions singulières et personnelles.

EN / Vous parliez tout à l’heure des cinémas du continent africain qui constituent un peu l’ADN du festival, mais qui sont souvent invisibilisés. Que peut-on dire de ces cinémas à l’heure actuelle ?

MFA : A un moment donné, tout le monde s’est dit que les cinémas africains n’existaient plus. Il y a peut-être eu un creux dans la production. Mais, en ce moment, il y a un vrai essor. Beaucoup de jeunes cinéastes émergent, notamment à travers le documentaire, mais également avec des envies de fiction. Ce sont des jeunes qui proposent des choses différentes et stimulantes, et qui sont en lien les un·e·s avec les autres. Il y a également des écoles qui se créent, des labs, des festivals… Certains cinéastes font un travail important pour réussir à produire d’autres personnes et diffuser des films. Il y a donc quelque chose qui se passe. Pas de la même manière dans tous les pays, mais c’est enthousiasmant ! Il y a de belles choses à suivre. Dans la compétition cette année, nous avons d’ailleurs 3 films d’Afrique subsaharienne [Nous, étudiants ! de Rafki Fariala (République Centrafricaine), Our lady of the chinese shop de Ery Claver (Angola) et Sur le fil du Zénith de Natyvel Pontalier (Gabon)], parce que j’ai envie de consacrer plus d’espace à cette création-là !