Interdit aux chiens et aux italiens : chronique d’une vie pas si douce, mais si belle

Interdit aux chiens et aux italiens : chronique d’une vie pas si douce, mais si belle

C’est peut-être le meilleur film d’animation vu depuis longtemps. Alain Ughetto signe avec Interdit aux chiens et aux italiens une œuvre aussi sincère que divertissante autour d’immigrés du Piedmont (nord de l’Italie) venus chercher du travail en France au début du XXe siècle. Et comme tous les exodes et migrations, ce ne fut pas un long fleuve tranquille.

Pourtant, sous la manière d’un conte familial historique, le réalisateur propose une fresque intime, réjouissante et nostalgique, tantôt drôle, tantôt douloureuse. Sur le fond, il raconte l’histoire de sa famille, au fil des souvenirs de sa grand mère, celle des Ughetto, paysans pauvres des Alpes italiennes, où seule le clocher de l’église dépasse de la canopée des nuages, bien à l’écart du tintamarre des villes. C’est aussi l’époque des guerres coloniales et mondiales, de la montée du fascisme, des grands travaux modernisateurs… Les Italiens sont traités comme des chiens sur les chantiers, les zones de conflits ou les terres d’accueil.

À en croire ce sombre tableau, on pourrait croire que ce film est une tragédie sombre et austère. C’est tout le contraire. Nous voici devant une fantaisie délectable où sont convoqués l’humour, la relativité des drames, les jours heureux, la malice, et la détermination à lutter contre le déterminisme. La dolce vita? Non. La vita e bella? Oui.

Ingéniosité

Et pour illustrer cette traversée du siècle, Alain Ughetto, neuf ans après Jasmine, son premier long métrage animé, utilise des marionnettes filmées en stop motion. Passionnant, le résultat est séduisant et sidérant. Quoi de plus logique de retracer son héritage en honorant son génie manuel? Tel un ingénieur rêveur, il fabrique les lieux et les gens qui l’ont amené à son métier d’animateur. S’amusant tel un enfant avec ses jouets miniatures. S’imaginant comment raconter de manière la plus divertissante possible cette épopée généalogique, où l’on passe de la construction d’un tunnel légendaire entre la Suisse et l’Italie au Tour de France qui défilait aux pieds de la maison savoyarde, en déviant par l’instinct de survie qui régissait toutes les décisions.

Ce travail artisannal minutieux et son talent perfectionniste rendent le film captivant, comme pouvait l’être Panique au village de Stéphane Aubier et Vincent Patar en 2009. Cette inventivité permanente confère à Interdit aux chiens et aux italiens, une dimension ludique (des arbres sont des brocolis, le réalisateur interagit tel un géant avec sa grand-mère, vous saurez tout sur la recette des gnocchis). Mais le film est avant tout attachant tant il regorge de simplicité. En exploitant des matières premières pour reconstituer des souvenirs, des décors, des personnages, il recycle finalement, en seconde main, des objets, végétaux ou matériaux. Cette sobriété n’est pas exempte de créativité visuelle, comme on l’a souligné, mais elle accompagne surtout une narration audacieuse (mêlant voix off, dialogue et cinéma muet) ponctuée de gags (répétitifs ou pas) et d’anecdotes (savoureuses ou effroyables).

Poésie et rudesse

Si le film fait évidemment écho à notre époque, où les immigrés ont toujours été une main d’œuvre à bon marché et maltraitée, quand elle n’est pas rejetée avant d’être complètement « assimilée », il rappelle avant tout la dure condition humaine de ceux qui n’aspirent qu’à un peu de joie dans ce monde de malheur(s). Ainsi, allégorie, histoire(s) et imaginaire se confondent dans un savant mixage de jeux bricolés et de maquettes impressionnantes, là où l’enfance et l’adulte confluent vers une quête d’identité. Alain Ughetto tisse ainsi un lien solide entre ses « deux pays », portant une parole vindicative sur ses racines italiennes et son ancrage français.

C’est alors que l’émerveillement produit son plus bel effet, davantage que le discours politique sous-jascent ou le génie cinématographique du film. Sans naïveté. Avec une certaine rudesse même. Le cinéaste avale sa Madeleine de Proust que lui évoque ses véritables origines (l’enfance) pour mieux nous faire partager poétiquement son goût de l’innocence. Indéniablement, il est de ces artisans qui savent conter l’histoire de leur création. Telle une fable sur les ironies de la vie.