Tel Aviv – Beyrouth : Pietàs et pitas

Tel Aviv – Beyrouth : Pietàs et pitas

Michale Boganim, cinéaste plusieurs fois primée pour ses documentaires comme pour son premier film, La terre outragée, associe ces deux formats pour une fiction tirée de faits réels. Tel Aviv – Beyrouth raconte l’histoire sur une vingtaine d’années de deux femmes : une française installée en Israël, à proximité de la frontière du Liban, et une libanaise francophone résidant en zone occupée par Israël. La première a un mari soldat, plus souvent au Liban qu’au foyer. La seconde a un père militaire qui collabore avec les forces occupantes. Ce qui relie ces deux femmes est invisible : l’amitié entre les deux hommes. Ignorant leur existence respective, elles ne se rencontreront que sur le tard, quand il sera trop tard, dans une échappée salutaire et libre.

La réalisatrice nous plonge dans les tourments d’une guerre entre voisins, avec ses dommages collatéraux, psychologiques et tragiques. Le film est aussi flottant que sombre et, progressivement, se resserre autour de ces deux femmes abandonnées à leur sort, malgré toute leur compassion. Myriam (Sarah Adler) constate que son mariage se désagrège et va trouver du réconfort ailleurs. La guerre lui vole son époux, et risque de lui enlever son fils unique. Tanya (Zalfa Seurat) bouillonne de colères et de contradictions et doit s’exiler avec son père, loin des leurs. La guerre l’a déracinée et lui a enlevé tous ses rêves. Pour sauver son fils et pour sauver son père respectivement, les deux femmes vont tenter de concilier leurs points de vue pour ne pas subir leur destin. Evidemment, ce sera vain. Profondément pessimiste, ce drame pointe avec tact l’absurdité d’un conflit qui les dépasse.

Mélodrame frustrant

En allant et venant de part et d’autre de la frontière sud du Liban, le film démontre l’intranquillité permanente et les rancœurs perpétuelles qui habitent les deux pays, et par conséquent les deux femmes. Si le récit n’est pas tout à fait maîtrisé, maniant trop l’ellipse, et si la mise en scène s’avère trop aride, empêchant le mélodrame de s’émanciper vers une émotion proprement cinématographique, Tel Aviv – Beyrouth réussi malgré tout à révéler la possible mais fragile affection qui pourrait réunir ces deux ennemis, les liens troubles et ambivalents entre ces peuples apparaissent tels qu’ils sont : insensés. « C’est fou, on mange la même pita et le même houmous » à Beyrouth et à Tel Aviv. Oui c’est fou. En dehors des religions, rien n’est vraiment différent culturellement entre les deux pays.

Des hommes dépressifs, désaxés, atteints viscéralement par cette guerre aberrante, et des femmes lassent, enragées et impuissantes face à ces combats de coqs. Voilà ce qu’il en reste. Tout le monde est « borderline ». Ce qui produit un film parfois révoltant, intensément sombre, un peu monotone, et toujours désespérant. Trop, sans doute, pour qu’on puisse aimer ce récit un peu confus et sans issue, bien trop long pour être captivant.

Car même si les femmes parviennent à devenir complices, l’histoire reste plombante. On voit bien que cette frontière entre elles ne disparait que dans la conjonction de leurs souffrances. Pour le reste, il faut se soumettre à cette cruelle injustice : la frontière ne s’ouvre que pour les cercueils.