CinéLatino 2023 : rencontre avec Christopher Murray, réalisateur de « Brujería » vainqueur du prix CINE +

CinéLatino 2023 : rencontre avec Christopher Murray, réalisateur de « Brujería » vainqueur du prix CINE +

Au Chili, en 1880, dans une partie de l’île de Chiloé : Rosa est une fille d’origine Huilliche qui travaille à une ferme avec son père, lorsque un jour le contremaître allemand provoque sa mort. Rosa veut demander justice mais sans résultat, elle va se tourner vers le guide d’une mystérieuse organisation qui pratiquerait de la sorcellerie…

Brujería de Christopher Murray était l’un des films forts de la compétition du 35e Festival CinéLatino de Toulouse, où il y a été récompensé (Prix CINE +). Cette histoire de quête de justice qui ressemble à une vengeance se double d’une histoire de résistance à des colonisateurs. Plus profondément, il s’agit de l’histoire d’une jeune fille qui va remettre en cause une éducation reçue pour retrouver sa véritable identité…

Le film joue avec le suspens et du mystère tout en se voulant une reconstitution historique et une quête intime autant qu’une recherche d’appartenance culturelle dans une tension allant crescendo. Brujería avait été présenté au Festival de Sundance en janvier. Il est depuis sélectionné dans divers festivals européens.

Rencontre avec son réalisateur Christopher Murray.

Votre scénario semble avoir été inspiré par un vrai procès contre des gens accusés de pratiquer de la sorcellerie en 1880. Il évoque aussi le peuple Huilliche de l’île de Chiloé face à la colonisation Allemande : soit deux histoires de persécutions. Quel a été le point de départ de Brujería ?

Christopher Murray : Le film a en effet été inspiré de faits réels, et donc d’un procès de 1880 à Chiloé pour le jugement d’une affaire de sorcellerie, j’ai d’abord lu avec attention le compte-rendu de ce procès et le détail des accusations. J’ai alors décidé d’aller moi-même à Chiloé pour y rechercher comment cet étonnant procès pour sorcellerie est compris là-bas, sur cette île. C’était important d’aller sur les vrais lieux pour comprendre qu’elle pouvait être la vraie signification de ce terme de ‘sorcellerie’ pour ses habitants. La profonde signification de ‘sorcellerie’ est en fait quelque chose qui est lié à la communauté de ‘La Recta Provincia’ d’origine plus indigène, avec des rites syncrétiques. J’ai eu besoin de relier cette affaire de procès au sens profond qui était derrière cette pratique. Le terme ‘sorcellerie’ n’est en fait là pas quelque chose de forcément mauvais, c’est d’ailleurs plutôt synonyme d’une certaine résistance au sens de lutte politique.

Un représentant de l’autorité dit à que « les chiens ne peuvent pas aller en prison » et la jeune fille comprend alors que la justice est organisée pour être toujours favorable aux colons allemands…

Christopher Murray : C’était intéressant pour moi que dans sa quête de justice, cette jeune fille aille frapper à toutes les portes possibles. Et en fait elle ne va se tourner vers cette possibilité de sorcellerie qu’en dernier recours, parce que les autorités de l’Etat sont complices de la colonisation de ce territoire. A ce moment la justice n’est pas neutre et ne garantit pas une égalité de traitement entre les deux parties, ce qui n’est pas juste. Donc cette inégalité pose la question de ce qu’est la justice dans un tel endroit, et de comment obtenir justice face aux colonisateurs. Il y a une différence entre justice et vengeance. Pour elle, après la mort de son père il y a un besoin de justice qu’elle ne peut pas obtenir, ce qui conduit à une envie de vengeance viscérale. Pour cette jeune fille, ça va devenir plus complexe avec sa découverte et son immersion dans cette communauté de ‘La Recta Provincia’. Au final, il s’agit de justice pour et envers elle-même. Tout ça va bien au-delà de la satisfaction d’une revanche où on réagit avant de comprendre. Cette jeune fille va traverser un processus très complexe de sentiments à propos de cette communauté et de son identité.

Le film aborde aussi la foi chrétienne dans un Dieu et les pratiques étranges de cette communauté de La Recta Provincia. Ces différentes croyances relèvent de l’invisible. Comment vous avez fait pour rendre ça à l’image ?

Christopher Murray : Pour moi ces différentes dimensions relèvent de l’intangible. Une foi ou une croyance c’est invisible, mais c’est aussi politique dans la façon où ces choses sont organisées car cela affecte une façon de vivre. Le cinéma est un art qui justement permet d’explorer ce qui est intangible et ce qu’on ne voit pas. Avec ce film c’était intéressant de représenter ce genre de forces abstraites sans être trop explicite, sans montrer une transformation comme par magie. Pour représenter vraiment ce genre de choses, il faudrait peut-être montrer une sorte de transe cinématographique pour connecter les spectateurs à ce genre de dimension invisible. J’ai voulu laisser la place à une certaine ambiguïté et aussi au mystère. La façon dont la caméra bouge et le son que l’on entend est une partie de la représentation d’un rituel pour aller vers l’intérieur de ces forces. Je voulais que l’on ressente une énergie particulière et cela d’une manière sensorielle. La mise-en-scène est une façon d’approcher ce type de force invisible. La sorcellerie relève en premier lieu d’un monde de mystères, il ne faut pas montrer les choses de manière trop concrète. Je voulais de la suggestion vers un endroit où on ne sait pas vraiment ce qui se passe. La sorcellerie c’est lié à la peur, à la peur de l’inconnu, et aussi à la peur des autres et à la peur des colonisateurs. Quand on va à Chiloé, on est imprégné de certaines choses qu’on ne peut pas comprendre, et c’est troublant.

Ce genre de force immatérielle dite ‘sorcellerie’ relève souvent du genre ‘cinéma fantastique’. Brujería est-il un film fantastique selon vous ?

Christopher Murray : J’ai voulu que certaines choses du film apparaissent comme étant du registre du fantastique, mais que d’autres soit très organiques, et en tout cas éviter de montrer des choses trop spectaculaires ou improbables. Quand on pense à un film fantastique, il y a une possible dimension d’incroyable et hors de ce monde. Quand on pense à la pratique de la sorcellerie telle qu’elle est à Chiloé, c’est du concret. Il y a là-bas une pratique à la marge de notre monde mais c’est lié à des choses simples et tangibles; comme la terre, des oiseaux, des chiens. Et il y a aussi des choses plus étranges que l’on ne voit pas. Je voulais faire ressentir le possible surnaturel de manière naturelle. Mon film laisse la possibilité de penser à des choses fantastiques dans votre esprit. La tradition du ‘cinéma fantastique’ est de montrer que des choses invisibles sont vraiment bien là.

Dans Brujería on reconnaît l’acteur allemand Sebastian Hülk, déjà à l’affiche de plusieurs grosses productions (À l’Ouest rien de nouveau, récompensé aux Oscars, Cheval de guerre de Spielberg, Le ruban blanc de Haneke…) et on découvre cette jeune révélation incroyable Valentina Véliz Caileo, comment vous les avez convaincu l’une et l’autre de jouer dans votre film ?

Christopher Murray : Pour moi c’était très important que les acteurs soient au plus proche de mes personnages, donc un acteur qui soit allemand et surtout, pour la jeune fille, il fallait quelqu’un qui soit de Chiloé et qui soit connectée à ce territoire et à la trajectoire de l’héroïne. On a lancé un casting local à Chiloé et aux alentours, on a vu environ 300 personnes qui ont répondu à notre annonce.  J’ai remarqué l’enregistrement vidéo de Valentina Véliz Caileo. elle n’était pas actrice mais elle avait une énergie particulière. On est allé chez elle et sa famille avec une caméra pour un essai, et elle a été fabuleuse. Au début elle a pensé qu’elle allait être dans le film comme figurante ou un petit rôle et puis elle a réalisé que c’était pour le rôle principal. Valentina Véliz Caileo était une actrice débutante et pour beaucoup de scènes elle jouait avec un acteur déjà expérimenté, Daniel Antivilo : dans l’histoire le personnage de la jeune fille Rosa découvre des choses liées à la sorcellerie avec cet homme qu’il incarne, Matéo. Durant le tournage, elle a découvert aussi le jeu face à ce mentor. C’était comme un enchantement à l’écran. Le personnage allemand n’est pas facile, l’acteur Sebastian Hülk a lu le scénario et il a compris sa complexité, il a compris quelle sorte de peur il devait transmettre face à des choses que le personnage ne comprenait pas. Ce clash de cultures présent dans le scénario devait être répliqué avec le casting.

Le film Brujería voyage en ce moments à travers différents festivals comme celui de Sundance aux Etats-Unis, ici CinéLatino à Toulouse, bientôt le BIFFF à Bruxelles : ça vous fait quel effet que votre histoire de Chiloé soit découverte à travers des pays si éloignés du Chili ?

Christopher Murray : C’est une expérience incroyable de faire voyager ce film. Il est aussi passé aussi par des festivals au Chili et au Mexique, et c’était formidable de le faire partager au festival de Sundance. C’est une histoire singulière du Chili qui aborde le sujet sensible de la violence d’une colonisation. Je suis heureux que différents publics de différents pays se retrouvent connectés à cette histoire de pouvoir et de résistance.