Soleil couchant pour Ryūichi Sakamoto

Soleil couchant pour Ryūichi Sakamoto

Explorateur du son, découvreur des alliances musicales les plus improbales, compositeur de génie, et acteur éphémère, Ryūichi Sakamoto est une légende, sans doute la plus grande star japonaise de la musique. De l’electro à l’expérimental, de la J-Pop à des bandes originales de légénde, il a influencé au-delà des chapelles et des frontières tout une industrie dès les années 1970. Il vient de s’éteindre à l’âge de 71 ans.

Humaniste, prolifique, éclectique, poétique : difficile de résumer une telle figure, passant d’un genre à l’autre, de groupes en collaborations, de Tokyo à New York, pour associer des instruments indonésiens, des partitions minimalistes, des instruments technologiques, des influences orientalistes dans un même élan.

Pour le cinéma, il aura été l’un des géants de la musique. Il est temps de lui rendre hommage, en musique.

1982. Nagisa Oshima présente Furyo au festival de Cannes. David Bowie y est déjà présent pour son rôle de vampire glam avec les prédateurs. Le voici Lawrence d’Asie dans ce camp où règnent la peur et la torture. Une épopée homo-érotique et sado-masochiste puissante avec Takeshi Kitano, le chanteur superstar David Bowie, au summum de sa beauté, et Sakamoto, dont c’est la première apparition à l’écran. Bowie refuse de composer la BOF. Sakamoto s’y résigne. Et signe l’une des mélodies les plus marquantes et les plus entêtantes du cinéma, doublée d’un hit planétaire, Forbidden Colours.

1987. Bernardo Bertolucci part en Chine pour filmer Le dernier empereur, premier grand tournage occidental dans une Chine encore très fermée. L’odyssée historique qui traverse la première moitié du XXe siècle est couronée par 9 Oscars, 4 Golden Globes, 10 Donatello, 2 César et 11 Baftas. La musique de Sakamoto récolte une grande partie de ces lauriers : Oscar, Bafta, Golden Globe sacre le musicien, à juste titre. Rarement depuis les compositions de Maurice Jarre pour David Lean, une bande originale a été à la fois aussi mémorable et adquate à une fresque de ce genre.

1990. Il récide avec Bertolucci pour Un thé au sahara, romance à mille lieux de leurs cultures respectives. Le compositeur réussit une splendide partition au piano, qui colle parfaitement à l’atmosphère tragique et mélancolique du film.

1991. Talons aiguilles, l’un des plus gros succès de Padro Almodovar. Changement de style et d’ambiance. Le mélodrame coloré du cinéaste espagnol inspire l’une des plus belles réussites de Ryūichi Sakamoto, qui s’accoutume parfaitement au humeurs des personnages et à la noirceur de récit, même si on retient surtout de la BOF les deux chanson-tubes de Luz Casal.

1993. troisième collaboration avec Bertolucci pour Little Buddha. Sans doute la plus riche de Sakamoto, qui ici mixe tout ce qu’il a appris et tente même des incursions vers de la musique expérimentale.

1998. Brian de Palma fait appel à lui pour Snake Eyes. Changement de registre, de genre. Sakamoto s’accoutume pour ce qui est des meilleurs thrillers sous-estimés des années 1990.

1998. C’est John Maybury qui l’enrôle pour imaginer la musique de Love is the Devil, biopic allumé et tourmenté de Francis Bacon. Sakamoto s’exécute avec un plaisir non feint et renoue avec ses son électroniques hérités de la scène électro allemande qu’il affectionne tant.

Il retrouve Oshima en 1999 pour Tabou, film de samouraïs gays, où les mélopées de Sakamoto font merveille pour souligner l’aspect dramatique et érotique sous-entendus par le film.

2007. Il signe la BO d’une coprod internationale, Soie, de François Girard. Un fiasco cinématographique sauvé par sa direction artistique et musicale.

Après de multiples films en Asie, et un début de cancer, il accepte de composer la partition tragique et sombre de The Revenant, en 2015, pour Alejandro González Iñárritu.

Parlant de films asiatiques, notons la BOF de The Fortress du coréen Hwang Dong-hyeok en 2017. Le musicien n’a rien perdu de sa capacité à passer de l’intime au spectaculaire, usant d’orchestres symphoniques loin de ses joujous électroniques.

Mais l’un de ces dernières magnifiques compositions est celle qu’il créé pour Alice Winocour en 2019. Proxima est une forme de quintessence du génie de Sakamoto, avec ses envolées lyriques teintées de tonalités mêlant la tristesse à l’espoir.

L’une de ses denrières créations fut pour Love after Love d’Ann Hui (2020), magnifiquement imagé par Christopher Doyle.

Dans un genre plus nerveux, il s’est attelé à la BOF du thriller Beckett de Ferdinando Cito Filomarino en 2021.

Documentaires, animes, films de tous horizons, réalisés par des cinéastes asiatiques, européens, américains… cet héritier de Debussy, cet amoureux de Kraftwerk, ce fan de Herbie Hancock aura imprégné sa touche à tout le cinéma durant quarante ans. Sakamoto laisse à nos oreilles le délices de ses mélodies et de ses sons du monde un héritage atemporel.