Cannes 2023 | Cédric Kahn recadre cliniquement Le procès Goldman

Cannes 2023 | Cédric Kahn recadre cliniquement Le procès Goldman

Le film de procès est un genre en soi. Par la théâtralité du processus judiciaire, le tour de force imposé aux comédiens, et l’enjeu dramatique souvent existentiel, c’est une parfaite comédie humaine sous son masque de tragédie.

Cédric Kahn s’attaque à un procès d’Assises emblématique des années 1970.

  • En novembre 1975, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine. (lire aussi notre article sur la véritable vie de Pierre Goldman).

Avec un écran en 4/3, un enfermement dans la salle de justice d’Amiens tout au long du film, et une caméra qui prend le temps de se poser sur des visages en premier plan, quitte à laisser le flou envahir l’arrière plan ou à déjouer les perspectives, le réalisateur propose un geste cinématographique presque radical. Epuré et précis.

Un homme en colère

Aussi austère que captivant, Le procès Goldman pourrait ne chercher que les voies de la justice pour innocenter un homme que tout désigne comme le coupable idéal. Mais ici, il ne s’agit pas d’assister à la réunion des jurés populaires comme dans 12 hommes en colère, où le doute d’un homme suffit à renverser le jugement a priori évident. Non, ce qui intéresse Cédric Kahn ce sont les mots du juge, des jurés, des avocats, des témoins, des victimes et de l’accusé. Autant de paroles qui traduisent les maux d’une époque. En mettant en scène sobrement le procès, l’attention se porte sur les discours et les opinions.

Or, s’il est question d’une affaire presque cinquantenaire, ce qui s’y dit renvoie à des interrogations actuelles : la violence policière, l’antisémitisme, les erreurs de l’enquête, les contradictions des militants de gauche, le racisme (systémique?), etc. Finalement, peu de choses ont changé depuis cette époque. C’est tout le brio du cinéaste que d’opposer sans crainte et de débattre avec fluidité les diverses versions idéologiques de chacun.

Car, au-delà de la fragilité des témoignages, des preuves manquantes ou mal vérifiées, et du tempérament explosif et peu sympathique de l’accusé, Le procès Goldman est aussi le procès de notre système. Des noirs discriminés, des Juifs traumatisés par la seconde guerre mondiale, des citoyens appeurés par l’afflux de travailleurs immigrés, une extrême-gauche déjà intersectionnelle, gonflée à bloc par la décolonisation et les révolutions dans les pays du Sud, un système politico-judiciaire où l’autorité est remise en question après les années gaullistes et les Trente glorieuses.

Comme tout film de procès, celui-ci n’échappe pas à l’aspect théâtral et dramatique du genre. Cédric Kahn renforce le procédé avec un décor neutre où sa caméra joue de la géométrie et même de la symétrie des plans (souvent fixes), tout comme il profite de monologues et de dialogues très bien écrits. Même dans le prologue, seule scène à l’extérieur du Palais de justice, où l’un des avocats de l’accusé va au cabinet de Kiejman, leur dialectique s’avère aussi dramaturgique que symbolique.

Un Vivre ensemble condamné

En refusant tout artifice, et en s’attachant à chacun des personnages, le cinéaste réussit ainsi à faire croire à sa neutralité plutôt que de s’acharner à déceler une vérité. Au spectateur de construire sa propre interprétation. D’autant qu’il parvient également à transposer subtilement la complexité de Robert Goldman, parano et menteur, sincère et révolutionnaire, apeuré et en colère. De même, le réalisateur n’a besoin de rien d’autres que de la retranscription des archives du procès pour montrer à quel point les préjugés percutent le réel et que les méthodes de chacun manipulent les faits.

Il ne s’agit pas de juger Robert Goldman, criminel avéré, meurtrier possible mais présummé innocent. Le film démontre davantage la rigueur de la justice, la valeur du doute, et la fragilité d’une société qui cherche un coupable, quitte à envoyer un innocent en prison. Il n’est pas question de réparer une erreur judiciaire ou de réviser une affaire non élucidée.

Ce qui intéresse Cédric Kahn, par cette expérience filmique clinique, c’est bien le partage de différentes opinions dans une République friable. Même si la réconciliation des points de vue n’est pas possible.