La petite Cléo est une adorable gamine d’environ 6 ans, et comme ça arrive à bien d’autres, elle n’a plus de maman et son gentil papa est très pris par ses horaires de travail. Alors, au quotidien, elle est élevée depuis longtemps par une nourrice, Gloria, qui prend bien soin d’elle pour ce qui est des repas, du bain, des jeux, ou de la soigner si elle se fait un bobo. Mais un jour, Gloria doit retourner auprès de sa famille à elle, loin au Cap-Vert, et la séparation est trop difficile à surmonter pour la petite fille. Car sa nounou est depuis longtemps devenue pour elle une maman de substitution et à ses yeux c’est même sa maman d’adoption. La voir partir lui est insupportable. Le papa accepte alors que sa fille aille rejoindre Gloria chez elle le temps d’un été, mais la petite Cléo va devoir cette fois vraiment faire face à cette rupture qui approche…
« J’ai appris quelque chose de triste… J’ai besoin de m’occuper de mes enfants. »
Qu’est-ce qui peut bien se passer dans la tête d’une petite fille qui a peur de ne plus jamais revoir celle qu’elle considère comme sa maman ? Comment une femme peut laisser durant une longue période son amour maternel pour son propre petit garçon resté loin au Cap-Vert en allant travailler en France à élever l’enfant de quelqu’un d’autre ? Ama Gloria explore tout le mystère de la profondeur de ce lien entre maman de substitution et enfant de substitution, et aussi surtout sa fragilité, en montrant ce qui se passe quand ce lien doit brutalement se rompre.
L’histoire débute en France avec au premier plan le regard de Cléo qui est toujours au centre de l’image, et surtout au centre des attentions de son père et de Gloria. En quelque sorte le monde tourne autour de ses besoins et de ses envies. La réalisatrice la cadre au plus près, son visage souvent réuni avec celui de Gloria, nous faisant sentir leur complicité et leur osmose. Quand les évènements font que l’histoire se déplace au Cap-Vert dans l’environnement de l’ancienne nounou, c’est plutôt cette femme, ses soucis et son dévouement qui prennent de l’importance : on y découvre ses enfants et sa vie à elle. Les plans s’aèrent. Sur la forme comme sur le fond, la petite Cléo doit éprouver qu’elle n’est donc plus au centre du monde : ce basculement intime est pour elle un douloureux bousculement.
La nature de ce lien entre l’enfant et une femme au travail de maman est difficilement descriptible. Cela a déjà été un peu abordé dans certains courts-métrages avec le point de vue de la nounou (par exemple Loin du 16e de Walter Salles et Daniela Thomas, Comadre de Nicole Chi), mais rarement de cette façon avec le double point de vue de la nounou et surtout de l’enfant. Et c’est bien là le pari très réussi de la réalisatrice Marie Amachoukeli. D’autant qu’Ama Gloria s’enrichit de séquences d’ animations de toute beauté, signées Pierre-Emmanuel Lyet, qui traduisent les émotions intérieures et les non-dits qui chamboulent la petite Cléo.
Pour son premier long en solo, la réalisatrice dirige avec sensibilité ses deux actrices, magnifiques de retenue.
Marie Amachoukeli est l’une des cinéastes à avoir été révélée par Cannes avec ses films écrits et réalisés en duo ou trio avec Claire Burger et Samuel Theis : le court C’est gratuit pour les filles était à La Semaine de la Critique en 2009, puis Party Girl à Un Certain Regard en 2014 avait remporté le prix de La Caméra d’or. Depuis chacun a réalisé des films en solo, et voila Marie Amachoukeli en ouverture de La Semaine de la Critique 2023, avec un film intimiste et puissamment personnel qui opère un subtil décalage dans sa filmographie, sans renier la veine réaliste dont elle vient. En attendant son prochain long métrage, un film d’animation aux antipodes d’Ama Gloria, dont nous vous parlions à l’occasion du Cartoon Movie 2023.