Cannes 2023 | Les filles d’Olfa de Kaouther ben Hania, documentaire intime et méta sur une tragédie familiale

Cannes 2023 | Les filles d’Olfa de Kaouther ben Hania, documentaire intime et méta sur une tragédie familiale

Le dispositif du nouveau film de Kaouther Ben Hania est d’emblée séduisant : si deux des filles du personnage principal, Olfa, jouent leurs propres rôles dans ce documentaire familial extrêmement intime, les deux autres sont incarnées par des actrices, ainsi qu’Olfa elle-même lors des séquences qui lui sont trop difficiles à jouer. Tout cela est expliqué par les personnages eux-mêmes dès l’ouverture, dans une démarche meta relativement originale. Se mêlent donc tour à tour des discussions entre les comédiennes et les véritables personnages, des récits face caméra et des reconstitutions – affichées comme telles – de scènes-clefs du passé.

Au départ, on ne sait rien de l’histoire de cette femme et de ses 4 filles, ni des raisons qui ont poussé la réalisatrice à lui consacrer un film. Pourtant, ce que l’on découvre a quelque chose d’immédiatement exemplaire : une jeune fille mariée sans amour, le poids des traditions, la peur du péché, un désir de rébellion adolescent qui, dans la Tunisie des années 2000, ne trouve à s’exprimer que par la provocation punk ou le radicalisme religieux. Il s’agit à la fois d’une histoire particulière et d’un miroir grossissant de la Tunisie du XXIe siècle.

Malgré tout, le documentaire finit par se reposer un peu paresseusement sur son concept, et sur le potentiel émotionnel de son histoire. Si les séquences de « coulisses », lorsqu’Olfa et ses filles (réelles et de substitution) échangent sur le récit, sont souvent très fortes, d’autres passages de témoignages, parfois accompagnés de larmes, semblent plus classiques, et un peu inégaux. Quant aux reconstitutions, notamment lorsque Olfa souffle en direct à la comédienne qui l’interprète les phrases qui avaient été véritablement prononcées, ou quand tout le monde se met à débattre autour d’une situation en particulier, elles reposent sur une simple convention avec le spectateur, dans une démarche de méta-cinéma qui aurait mérité d’être approfondie.

Reflets de la société contemporaine

On est ainsi saisi par quelques jolis moments, à l’image de cet instant de légèreté bienvenu lorsque les deux filles d’Olfa expliquent les différentes manières de porter le voile intégral (soit très pudiquement, soit de manière très aguicheuse), ou quand s’exprime une forme de solidarité entre les différentes femmes, comédiennes incluses. À d’autres moments, c’est plus dur, car en filigrane, le film met aussi au jour les contradictions nombreuses d’Olfa (obsédée par la « vertu » de ses filles jusqu’à en devenir maltraitante), reflets de celles d’une société qui est tout sauf conciliante avec les femmes.

On navigue donc entre différentes tonalités, qui racontent finalement avec beaucoup de simplicité une histoire singulière, poignante et évidemment extrêmement contemporaine. Si Les filles d’Olfa n’est pas exempt de naïveté et de scories ostentatoires (on pleure beaucoup devant la caméra de la cinéaste, qui en rajoute parfois avec des effets de caméra appuyés), il faut reconnaître au film le mérite de tenter une approche formelle qui permet de multiplier les perspectives à la fois sur la tragédie personnelle de la famille et sur ce qu’elle dévoile de la société et de l’époque, entre repli sur soi et radicalisation des points de vue.