Cannes 2023 | Avec Asteroid City, Wes Anderson joue les ex-fans des fifties

Cannes 2023 | Avec Asteroid City, Wes Anderson joue les ex-fans des fifties

Wes Anderson avait des envies de Far-West et d’années 1950. Une forme de nostalgie très américaine pour le cinéaste, qui a déjà exploré divers univers esthétiques : la Middle-Europe, la France gaulliste, les fonds marins, Manhattan, la côte de la Nouvelle Angleterre ou encore l’Inde.

Avec Asteroid City, il s’offre un nouveau théâtre : un lieu dit à la Cars, et une imagerie qui renoue avec la mythologie de l’American Dream : les belles voitures aux tons pastels, le motel et ses bungalows, un snack pour les pancakes et les milk-shakes, la station service, une route droite qui croise une voie de chemin de fer… Il y fait une chaleur à crever dans ce trou perdu, qui doit son nom à un cratère de météorite.

Avec son style inimatable, le cinéaste parisiano-texan épate une fois de plus par son perfectionnisme artistique, sa minutie des moindres détails et son imagination visuelle. Asteroid City est, à ce titre, splendide. Il reprend également tous ses codes de mise en scène – la symétrie du cadrage, le plan fixe, les contrastes chromatiques – et tous ses artifices narratifs – animation, digressions, apartés.

Horizons lointains

Asteroid City est une fiction feuilletonée pour une télévision. Il y a deux histoires qui se chevauchent : la création de la pièce, en noir et blanc, et la transposition, en couleurs. Cette mécanique produit plusieurs défauts. D’abord une mise à distance du récit qui apparait d’autant plus factice et empêche toute émotion (alors même que l’histoire déborde de sentiments). Ensuite, un étirement voire un alourdissement du récit qui ralentit fortment le rythme et l’enlise dans les sables désertiques, même s’il permet au cinéaste de mieux faire respirer son film. Enfin, cette distanciation et cette pesanteur entraînent un troisième problème beaucoup plus sérieux. La fascination pour l’imagerie (et l’attachement aux interprètes) succombe à l’inertie de l’histoire et la platitude dramatique qui s’ensuit.

« Tu dis que notre mère est morte il y a trois semaines? »

Ce qui provoque un profond ennui, malgré un casting formidable. Car on éprouve un réel le plaisir à voir Scarlett Johansson, sublimée, Tom Hanks, Jeffrey Wright, Bryan Cranston, Margot Robbie et Steve Carell dans son décorum. Mais tout au long des trois actes, on s’interroge sur le sens du film.

Une nostalgie d’un monde où Hitchcock, Hawks et Ford règnaient sur le 7e art? Un désir de faire revivre la puissance américaine et ses paranos de l’après guerre? Une envie de croiser plusieurs influences du cinéma populaire de l’époque, y compris la science-fiction avec cet étrange et gentil alien débarquant sur terre? À moins que ce ne soit un de ces énièmes hommage au cinéma et hymne à l’ennui (dans ce cas très réussi) lié à un confinement puisque une star de cinéma très Kim Novak, un retraité golfeur, un photoreporter, une professeure très chrétienne, un groupe de musique, un général et des scientifiques vont devoir cohabiter dans trou perdu pour cause de quarantaine. Une réflexion à la Pirandello sur l’incarnation d’une autre existence et la possibilité de vivre des vies fantasmées.

Bus Stop

Evidemment, pris un par un, chaque dialogue un peu décalé, idée légèrement absurde ou détail un peu loufoque permettent de sourire. Les enfants sont barrés, et surdoués, les adultes bien névrosés, et dépassés. Car chez Wes Anderson rien n’est laissé au hasard. Ce qui fonctionnait très bien dans ses précédents films. Alors pourquoi ces cendres conservées dans un bol tupperware ou ce premier baiser gay dans sa filmographie ne nous touchent pas plus que cela?

Dans son nouveau hui-clos, celui-ci à ciel (bleu ou étoilé) ouvert, Wes Anderson (et ses familles dysfonctionnelles) se pose beaucoup de questions existentielles, plombant sa dérision habituelle. Un film calme et trop sage, où il se plagie lui-même. Comme si l’arrêt de bus où tout le monde descend avait conduit à une une introspection existentielle. Anderson sur pause? Pas tout à fait quand même. Si les intermèdes gâchent la fluidité de son film, reconnaissons que sa manière de se moquer des autorités et de la sécurité américaine, la façon dont il s’amuse avec ses personnages (et même son alien), la manière dont il fait la critique induite d’une société s’avérant plus faillible qu’invulnétrable (de ses voitures à sa police en passant par son éducation), révèlent un sentiment de rébellion qui traverse tous ses films.

Asteroid City n’est peut-être pas une destination idéale pour un voyage, contrairement à The Darjeeling Express, Moonrise Kingdom ou The Grand Budapest Hotel. C’est une étape où il ne faut pas trop s’attarder mais peut-être nécessaire dans cette traversée du désert.