Cannes 2023 | L’amour et les forêts de Valérie Donzelli : le poison de la possessivité

Cannes 2023 | L’amour et les forêts de Valérie Donzelli : le poison de la possessivité

En adaptant le roman L’amour et les forêts d’Éric Reinhardt paru en 2014, Valérie Donzelli poursuit son exploration des  amours dysfonctionnels, des histoires de couples atypiques et des relations impossibles. Pour ce faire, elle gratte sous le vernis des sentiments et met au jour leur dualité et leur inévitable part d’ombre. Son héroïne, Blanche, rendue vulnérable par son irrépressible désir d’aimer et surtout d’être aimée, se laisse ainsi piéger dans un mariage qui tourne à l’enfer domestique. 

Avec une précision et une écriture implacables, le film décortique les différentes étapes de ce conte de fées qui vire au cauchemar, de la rencontre idyllique aux violences physiques et psychologiques. La construction en flashback permet de poser immédiatement le cadre : on sait qu’on est dans un drame intime – dont au départ on ignore la nature – mais auquel l’héroïne survit, puisque c’est elle qui le raconte. Cela évite un suspense malaisant autour de la question des violences faites aux femmes, tout en créant d’emblée une atmosphère singulière. 

Schéma d’emprise classique

Pour le spectateur, la première partie en forme de coup de foudre revêt ainsi immédiatement l’aspect d’un drame qui se noue. On ressent une étrange inquiétude face à la séduction agressive et carnassière dont fait preuve le personnage masculin. Cette histoire d’amour paraît trop belle, jusque dans ses scènes de sexe en parfaite osmose, filmées comme les variantes amoureuses d’une chorégraphie fusionnelle. 

Par ailleurs, en permettant à Blanche de raconter elle-même son histoire,  le film adopte son point de vue, et lui permet de se constituer comme sujet prenant en main son destin (d’abord par la parole, via la voix-off qui commente à intervalles réguliers ce que l’on vient de voir, puis par l’action) et non comme victime observée à travers le regard du prédateur. Par le biais de ce récit qui est fait a posteriori, on a également accès à ses pensées, et aux mécanismes complexes qui se mettent en œuvre, tout d’abord pour compenser les violences, tenter d’y résister, et enfin chercher à s’y soustraire. 

On est là face à un schéma que l’on imagine classique d’emprise : isolement, surveillance, pression, violence. La gradation de ce chemin de croix permet à la situation de s’installer lentement, par étapes successives, et dans une impression d’inéluctabilité que renforce l’utilisation des ellipses temporelles. La démonstration de la difficulté qu’éprouve la victime à réagir, comme elle le ferait si les violences arrivaient brutalement, est d’une puissance terrible. C’est un piège insidieux que décrit Valérie Donzelli,  un mécanisme aux rouages extrêmement inventifs, jusque dans la capacité du mari harceleur à se faire systématiquement passer pour une victime. 

Résonances avec l’époque

Globalement, les personnages sont finement écrits et magistralement interprétés par les deux comédiens principaux, Melvil Poupaud et Virginie Efira, mais aussi par une très belle galerie de rôles secondaires qui créent une chaîne de solidarité autour de la victime, de l’infirmier qui décide de la protéger en l’hospitalisant à la soeur d’adoption, brillante Virginie Ledoyen, qui érige un invisible bouclier protecteur autour d’elle. 

Le film, forcément, résonne puissamment avec notre époque et ses tristes records en matière de féminicides, sans pour autant donner l’impression de n’être que la narration d’un fait divers à vocation d’édification. On sent au contraire la volonté de Valérie Donzelli de s’attacher au particulier, à l’intime, pour proposer des personnages qui ne sont jamais des stéréotypes. Elle s’emploie à brosser un portrait passionnant, et extrêmement incarné, de ses deux protagonistes, dans toute leur ambivalence et leurs nuances, ce qui nous les rend terriblement proches.

En changeant l’issue du roman original (ce que l’on sait dès le départ), elle choisit aussi d’ancrer son récit dans une autre réalité, qui n’est plus uniquement celle du drame, mais justement celle de l’après.  Cette fin ouverte pose énormément de questions (Peut-on réellement sortir d’une relation toxique – et comment ? De quelle façon reconstruit-on sa vie après avoir vécu ce genre de traumatisme ? Comment gère-t-on l’ancien conjoint maltraitant lorsque l’on a des enfants et qu’il faut continuer à le voir ?) et évite également le happy end trop éclatant. On comprend, à la vue de la dernière séquence, que le chemin à parcourir reste long. 

Fiche technique
L'Amour et les forêts de Valérie Donzelli (France, 2023)
Avec Virginie Efira, Melvil Poupaud, Virginie Ledoyen, Dominique Reymond, Romane Bohringer...
Sortie française : 24 mai 2023