[Lumière 2023] Alice dans les villes de Wim Wenders : l’échappée belle de deux solitaires

[Lumière 2023] Alice dans les villes de Wim Wenders : l’échappée belle de deux solitaires

Près de 50 ans après sa sortie, le quatrième long métrage de Wim Wenders, prix Lumière 2023, ressort dans les salles françaises le 25 octobre, en copie restaurée.

Inspiré de l’histoire de l’auteur et dramaturge, et ami du cinéaste, Peter Handke, qui vivait seul avec sa fille, Alice dans les villes est un road-movie poétique et flâneur qui emmène le spectateur des plages du sud des Etats-Unis à Wuppertal, en Allemagne, en passant par New York, Amsterdam et d’autres villes de la Ruhr.

Tout le cinéma de Wim Wenders est déjà posé là. L’errance comme moteur du récit. La solitude comme ADN des personnages. Le temps qui passe sans certitude sur le jour d’après. Le regard lucide d’une enfant face à des adultes le plus souvent paumés. Et puis cet art des plans fixes habités et des travellings immersifs, cet usage de la musique (un juke box, un autoradio) et des bruits (sirènes, télévision, ….) qui peuplent les silences.

Alice doesn’t live anymore

L’Amérique se traverse en voiture, mais Wenders nous transporte aussi en métro, bus, monorail, avion, train, bateau mouche, renault 4L, bac fluvial… La fluidité, malgré les distances, n’est jamais perturbée. Alice dans les villes ne se repose jamais et par ailleurs, il ne se repose sur aucun critère dramatique convenu. Nous partons de Surf City pour arriver en Allemagne, avec quelques objectifs pour aller de l’avant : voir son éditeur, rechercher une inconnue…

Le film aspire avant tout à une certaine liberté. Celle de circuler évidemment. Ou celle de baiser, sans se poser de questions (ce sont les 70s). La liberté de penser, de créer, de profiter du moment. Malheureusement quelques contraintes empêchent cette utopie nomade. L’éditeur veut un texte, pas des photos. La mère d’Alice est coincée par une liaison amoureuse compliquée. L’Allemand errant doit assumer la responsabilité d’une gamine inconnue. La police voudrait que tout cela rentre dans des cases.

Les images que Wenders que nous montrent mélangent ainsi une poésie urbaine au réalisme d’une époque. C’en est presque métaphysique. Après tout, Phil (Rüdiger Vogler, alors jeune trentenaire, acteur régulier du cinéaste et récemment vu dans Le parfum vert et OSS 117 : Rio ne répond plus), a l’âme d’un artiste. Avec son regard, même dans un bled, un motel ou un coffee shop peuvent s’avérer glamour. « Quand on traverse l’Amérique, les images vous transforment » dit-il. Une citation parfaite pour Wenders, qui quelques années plus tard viendra vivre dans ce pays qui lui a fournit tant de mythes.

Si loin, si proche

Cependant, après avoir contemplé le modernisme américain, il revient filmer une Europe en voie d’américanisation. Tel cet hôtel impersonnel à l’aéroport d’Amsterdam. Ou ces imposantes usines de la Ruhr et les faubourgs populaires qui les entourent, avec l’arrivée d’immigrés dans des villes impersonnelles. Cette espèce d’odyssée, une quête qui semble ne jamais aboutir, nous emmène à la fois dans une divagation mélancolique et dans une mutation psychologique.

Car, le cinéaste a cependant voulu conduire Phil sur un terrain moins connu. En croisant une femme célibataire et sa progéniture, il ne se doute pas qu’une autre aventure l’attend. Après un rendez-vous manqué avec la mère, à la Elle et lui (toujours l’Empire State Building), il se retrouve avec la vivace la petite Alice sur les bras. Ils s’envolent ensemble pour l’Europe. Lui cherche une issue de secours : une grand-mère par exemple. Commence alors un jeu de piste. Un procédé qu’on a vu maintes fois au cinéma que ce soit avec The Kid, L’été de Kikujiro, Central do brasil ou Un monde parfait.

La sensation vraie

Au diable les conventions et les règles. L’important c’est de s’aimer. On entend : « vous avez déjà une attitude de père« . Le changement opère chez ce célibataire endurci, individualiste. C’est là tout le charme du film. A l’instar de Zazie dans le métro, cette Alice se balade dans un pays des merveilles sans trop s’inquiéter de son avenir ou de sa mère. Personne ne sait où elle habite, mais ce que le spectateur retient de ce voyage, bien plus que l’adaptabilité des êtres à leur environnement, c’est la communion entre deux êtres distincts qui aiment s’affranchir du conformisme et des carcans. Malgré les chaînes sociales et leur absence de liens familiaux, ils deviennent complices et partageurs.

Ainsi, le simple fait qu’Alice fugue du commissariat de police pour rejoindre Phil, révèle tout l’humanisme du propos et l’affection que porte, comme toujours, Wenders à ses personnages. Il ne cherche que l’authenticité de leurs sentiments et, pour cela, traduit en images cette inspiration oxygénée qui donne confiance en l’humain. La sensation est palpable. Cela rend Alice dans les villes d’autant plus touchant.