[A]nnées en parenthèses 2020-2022 : quand la crise sanitaire révèle l’état du monde

[A]nnées en parenthèses 2020-2022 : quand la crise sanitaire révèle l’état du monde

Pendant les périodes de confinement dues à la pandémie de Covid 21, la réalisatrice, scénariste et productrice Hejer Charf est à Montréal. Stoppée dans ses projets immédiats, comme la majorité de la population, elle décide de faire appel à cinquante amis, connaissances ou amis d’amis, artistes et intellectuels du Canada et d’ailleurs. Ils lui envoient des images, des sons, des remarques et des chansons, qu’elle mêle à ses propres réflexions sur l’état du monde. Cela donne un étonnant film composite, ultra référencé, qui nous emmène d’un endroit à l’autre du monde et assume sa forme de patchwork libre et spontané.

Ce qui est passionnant dans ce journal de confinement à plusieurs voix, c’est qu’il ouvre sans cesse sur des problématiques contemporaines internationales en apparence éloignées de la situation sanitaire (l’exploitation par le travail, la destruction de la nature et du vivant, le lourd héritage des différentes vagues de colonisation…), et qui évidemment mettent au jour le système global, capitaliste, patriarcal et déshumanisé, qui a servi de terreau au virus et à sa propagation.

Ce que montre habilement Hejer Charf, c’est que tous les combats présents dans son film (au Liban, en Tunisie, en Egypte, comme dans les rues de Montréal ou de Paris) sont liés par la nécessité d’inventer une société régie par d’autres règles, qui soient enfin féministes, sociales, anticapitalistes et environnementales. Pour appuyer son argument, il lui suffit de donner la parole aux laissés pour compte d’ici et là (Richard qui dessine dans les rues de Montréal, et pour qui le concept de « distanciation sociale » ne fait pas une grande différence avec sa vie d’avant ; Aniel qui vit dans sa voiture à Portland et brave le virus pour apporter des livraisons à domicile), ainsi qu’à des artistes, militantes, écrivains et écrivaines (Jean-Luc Godard côtoie Latifa Lakhdar, Maïr Verthuy, Sophie Bessis… ) qui, chacune et chacun avec ses mots, réaffirme la nécessité de combattre pour une société plus juste, égalitaire et humaine.

On se laisse emporter avec un mélange de jubilation et de désir de révolte par ce flot d’énergie et de force inspirantes, ce collage politique et contemporain qui est probablement l’un des plus inspirés films de confinement qu’il nous ait été donné de voir, et qui a l’élégance de se conclure si joliment par une citation de Jean-Luc Godard : « J’ai dit que j’aime, voilà la promesse » pour ne pas nous quitter sur une note totalement pessimiste.

Il faut donc prendre le temps de découvrir [A]nnées en parenthèses pour se retourner avec lui sur cette période si récente, et pourtant déjà si lointaine, où se sont cristallisées toutes les frustrations et tous les espoirs d’un monde meilleur – resté en suspens. À l’heure où l’on écrit ces lignes, le film ne passe malheureusement que dans une salle à Paris : l’Épée de bois (suite à la suppression inopinée du cycle Découvertes du Saint-André au Saint-André des Arts). Mais il est chaque jour accompagné par sa réalisatrice et par un·e invité·e de son choix. Rendez-vous notamment le 28 octobre avec l’historienne Sophie Bessis, le 1er novembre avec la comédienne Gabriella Scheer et le 5 novembre avec Leila Shahid, ancienne ambassadrice de Palestine, afin de poursuivre le débat.